Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/446

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

innées, trouvera-t-elle la hardiesse que j’ai eue de traiter ses idées innées de chimères ?

Mais, si vous voulez vous réjouir, parlez un peu de mon brûlable livre à quelques jansénistes. Si j’avais écrit qu’il n’y a point de Dieu, ces messieurs auraient beaucoup espéré de ma conversion ; mais, depuis que j’ai dit que Pascal s’était trompé quelquefois ; que fatal laurier, bel astre, merveille de nos jours[1], ne sont pas des beautés poétiques, comme Pascal l’a cru ; qu’il n’est pas absolument démontré qu’il faut croire la religion, parce qu’elle est obscure ; qu’il ne faut point jouer l’existence de Dieu à croix ou pile ; enfin, depuis que j’ai dit ces absurdités impies, il n’y a point d’honnête janséniste qui ne voulût me brûler, dans ce monde-ci et dans l’autre.

De vous dire, madame, qui sont les plus fous des jansénistes, des molinistes, ou des anglicans, des quakers, cela est bien difficile ; mais il est certain que je suis beaucoup plus fou qu’eux de leur avoir dit des vérités qui ne leur feront nul bien, et qui me feront grand tort. J’étais à Londres quand j’écrivis tout cela ; et les Anglais qui voyaient mon manuscrit me trouvaient bien modéré. Je comptais sortir de France pour jamais, quand je donnai la malheureuse permission, il y a deux ans, à Thieriot d’imprimer ces bagatelles. J’ai bien changé d’avis depuis ce temps-là ; et, malheureusement, ces Lettres paraissent en France lorsque j’ai le plus d’envie d’y rester.

Si je ne reviens point, madame, soyez sûre que vous serez à la tête des personnes que je regretterai. Si vous voyez M. le président Hénault, dites-lui bien, je vous prie, qu’il parle, et souvent, à mons Rouillé. Quand il ne serait point à portée de me rendre service, votre suffrage et le sien me suffiraient contre la fureur des dévots et contre les lettres de cachet. Si vous vouliez m’honorer de votre souvenir, écrivez-moi à Paris, vis-à-vis Saint-Gervais ; les lettres me seront rendues. Ayez la bonté de mettre une petite marque, comme deux DD, par exemple, afin que je reconnaisse vos lettres. Je ne devrais pas me méprendre au style, mais quelquefois on fait des quiproquo.


412. — Á M. DE CIDEVILLE.
Le 1er juin.

La dernière lettre que je vous écrivis, mon cher ami, sur le compte de Jore, était fondée sur ceci :

  1. Voyez tome XXII, page 55.