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378. — Á M. DE CIDEVILLE.
Ce 15 novembre.

Voyez, mon cher ami, combien je suis docile. Je suis entièrement de votre avis sur les louanges que vous donnez à notre Adélaïde. J’avais peur qu’il ne parût un peu de coquetterie dans Mlle  du Guesclin ; mais puisque vous, qui êtes expert en cette science, ne vous êtes pas aperçu de ce défaut, il y a apparence qu’il n’existe pas. Mais vous me donnez autant de scrupule sur le reste que de confiance sur les choses que vous approuvez.

Je conviens avec vous que Nemours n’est pas, à beaucoup près, si grand, si intéressant, si occupant le théâtre que son emporté de frère. Je suis encore bien heureux qu’on puisse aimer un peu Nemours, après que Vendôme a saisi, pendant deux actes, l’attention et le cœur des spectateurs. Si le personnage de Nemours est souffert, je regarde comme un coup de l’art d’avoir fait supporter un personnage qui devait être insipide. Vous me dites qu’on pourrait relever le caractère de Nemours en affaiblissant celui de Coucy. Je ne saurais me rendre à cette idée en aucune façon, d’autant plus que Coucy ne se trouve avec Nemours qu’à la fin de la pièce.

J’aurais bien voulu parler un peu de ce fou de Charles VI, de cette mégère Isabeau, de ce grand homme Henri V ; mais, quand j’en ai voulu dire un mot, j’ai vu que je n’en avais pas le temps ; et non erat his locu"". La passion occupe toute la pièce d’un bout à l’autre. Je n’ai pas trouvé le moment de raconter tous ces événements, qui, de plus, sont aussi étrangers à mon action principale qu’essentiels à l’histoire. L’amour est une étrange chose : quand il est quelque part, il y veut dominer ; point de compagnon, point d’épisode. Il semble que, quand Nemours et Vendôme se voient, c’était bien là le cas de parler de Charles VI et de Charles VII ; point du tout. Pourquoi cela ? C’est qu’aucun d’eux ne s’en soucie ; c’est qu’ils sont tous deux amoureux comme des fous. Peut-on faire parler un acteur d’autre chose que de sa passion ? Et, si j’ai à me féliciter un peu, c’est d’avoir traité cette passion de façon qu’il n’y a pas de place pour l’ambition et pour la politique.

Vous avez très-bien senti l’horreur de l’action de Vendôme. Il semble, en effet, que ce beau nom ne soit pas fait pour un fratricide. S’il ordonnait la mort de son frère à tête reposée, ce serait un monstre, et la pièce aussi. Je ne sais même si on ne