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Elle a chassé de sa maison
Certain enfant tendre et fripon,
Mais retient la coquetterie ;
Elle a, je vous jure, un génie
Digne d’Horace et de Newton,
Et n’en passe pas moins sa vie
Avec le monde, qui l’ennuie,
Et des banquiers de pharaon.

Je vais lui montrer ce portrait-là, et je vous réponds qu’il est si vrai qu’elle est la seule qui ne s’y reconnaîtra pas. Pour moi, qui lui suis attaché à proportion de son mérite, ce qui veut dire infiniment.

Ne croyez pas qu’un tel hommage
Soit l’effet d’un peu trop d’ardeur ;
L’amour serait votre partage,
À moi n’appartient tant d’honneur.
Grands dieux (s’il en est d’autres qu’elle) !
Ayez de moi quelque pitié :
Écartez une ardeur cruelle
Qui corromprait mon amitié !
Jamais l’amitié ne s’altère ;
Elle rend sagement heureux,
Sans emportement, sans mystère.
L’Amour aurait plus de quoi plaire ;
Mais c’est un fou trop dangereux :
On a des moments si fâcheux
Avec gens de ce caractère !

Adieu ; vous êtes Emilie en homme, et elle est Cideville en femme. Notre ami Formont m’a écrit une lettre sur Locke, dans laquelle je crois qu’il ne s’est pas assez souvenu des sentiments de ce philosophe. Je veux lui écrire sur cet article.

Pardon, aimable Cideville ; je ne vous écris point de ma main ; mais je suis si malade qu’il n’y a que mon cœur en vie.

Renvoyez l’Épître à Émilie ; vous verrez que je hais Rousseau ; mais qui ne sait pas haïr ne sait pas aimer.


361. — Á M. L’ABBÉ DE SADE[1].
À Paris, le 29 août.

Ainsi donc vous quittez Paris,
Les belles et les beaux esprits,

  1. Jacques-François-Paul— Alphonse de Sade, cité plus haut, lettre 292, frère puîné du comte de ce nom, à qui une lettre d’octobre 1733 est adressée, naquit