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360 — Á M. DE CIDEVILLE.
14 août.

Il y a bien longtemps, mon charmant ami, que je ne réponds qu’en vile prose à vos agaceries poétiques, qui ont si fort l’air des lettres de Chaulieu, de Ferrand, ou de La Faye.

Mais une triste maladie,
Des affaires le poids fatal,
Ont longtemps ma voix affaiblie ;
Je ne chante plus qu’Emilie :
Encor la chanté-je bien mal.

J’ai montré à Emilie votre ingénieuse lettre : Emilie a répondu comme Benserade à Dangeau, au nom des filles de la reine :

Vous demandez si bien qu’on ne peut refuser.

Elle m’a donc donné la permission de vous envoyer les vers en question, à condition que vous les renverrez sans les avoir copiés. Je suis sûr que vous serez fidèle, car c’est l’amitié qui vous fait savoir les ordres de la beauté. Elle a été extrêmement contente de ces vers de votre façon :

Je l’adore comme les dieux,
Qu’on invoque sans les connaître.

Permettez-moi, s’il vous plaît, d’ajouter à cette pensée :

Une petite différence
Est entre Emilie et les dieux :
C’est que plus on s’informe deux,
Et moins alors on les encense.
Mais celle que vous adorez
Mérite un peu mieux votre hommage ;
Sachez que, quand vous la verrez,
Vous l’invoquerez davantage.

Quelle est donc, me direz-vous, cette divinité ? Est-ce quelque Mme  de La Rivaudaie ? Est-ce une personne en l’air ? Non, mon cher Cideville ;

Je vais, sans vous dire son nom,
Satisfaire un peu votre envie.
Voici ce que c’est qu’Émilie :
Elle est belle, et sait être amie ;
Elle a l’imagination
Toujours juste et toujours fleurie ;
Sa vive et sublime raison
Quelquefois a trop de saillie ;