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autant que vous pourrez, la publication des Lettres anglaises. Je crains bien que, dans les circonstances présentes, elles ne me portent un fatal contre-coup. Il y a des temps où l’on fait tout impunément ; il y en a d’autres où rien n’est innocent. Je suis actuellement dans le cas d’éprouver les rigueurs les plus injustes sur les sujets les plus frivoles. Peut-être dans deux mois d’ici je pourrai faire imprimer l′Alcoran. Je voudrais que toutes les criailleries, d’autant plus aigres qu’elles sont injustes, sur le Temple du Goût, fussent un peu calmées avant que les Lettres anglaises parussent. Donnez-moi le temps de me guérir pour me rebattre contre le public. À la bonne heure, qu’elles soient imprimées en anglais ; nous aurons le temps de recueillir les sentiments du public anglais, avant d’avoir fait paraître l’ouvrage en français. En ce cas, nous serons à temps de faire des cartons, s’il est besoin, pour le bien de l’ouvrage, et de faire agir ici mes amis pour le bien de l’auteur. Surtout, mon cher Thieriot, ne manquez pas de mettre expressément dans la préface que ces Lettres vous ont été écrites, pour la plupart, en 1728. Vous ne direz que la vérité, La plupart furent en effet écrites vers ce temps-là, dans la maison[1] de notre cher et vertueux ami Falkener. Vous pourrez ajouter que le manuscrit ayant couru et ayant été traduit, ayant même été imprimé en anglais, et étant près de l’être en français, vous avez été indispensablement obligé de faire imprimer l’original, dont on avait déjà la copie anglaise.

Si cela ne me disculpe pas auprès de ceux qui veulent me faire du mal, j’en serai quitte pour prévenir leur injustice et leur mauvaise volonté par un exil volontaire, et je bénirai le jour qui me rapprochera de vous. Plût au ciel que je pusse vivre avec mon cher Thieriot, dans un pays libre ! Ma santé seule m’a retenu jusqu’ici à Paris.

Je vais faire transcrire pour vous l’opéra[2], Ériphyle, Adélaïde ; je vous enverrai aussi une Épître sur la Calomnie, adressée à Mme  du Châtelet. À propos d’épître, dites à M. Pope que je l’ai très-bien reconnu « in his Essay on Man ; it is certainly his style. Now and then there is some obscurity ; but the whole is charming[3]

Je crois que vous verrez, dans quelques mois, le marquis Maffei[4], qui est le Varron et le Sophocle de Vérone. Vous serez

  1. 1. À Wandsworth, d’où est datée la lettre.
  2. Tanis et Zélide.
  3. « Dans son Essai sur l’homme, c’est certainement son style. Il y a quelquefois une certaine obscurité, mais l’ensemble est charmant. »
  4. Voyez la note, tome IV, page 179 ; et XXII, 386.