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ANNÉE 1733.

de vous louer. Je n’ai pas cru qu’une louange si juste pût vous offenser. Vos ouvrages sont publics ; ils honorent les cabinets des curieux ; mes portefeuilles en sont pleins ; votre nom est à chacune de vos estampes ; je ne pouvais deviner que vous fussiez fâché que des ouvrages publics, dont vous vous honorez, fussent loués publiquement.

Les noirceurs que j’ai essuyées sont aussi publiques et aussi incontestables que le reste ; mais il est incontestable aussi que je ne les ai pas méritées, que je dois plaindre celui[1] qui s’y abandonne, et lui pardonner, puisqu’il a su s’honorer de vos bontés, et vous cacher les scélératesses dont il est coupable. C’est pour la dernière fois que je parlerai de sa personne[2] ; pour ses ouvrages, je n’en ai jamais parlé. Je souhaite qu’il devienne digne de votre bienveillance. Il me semble qu’il n’y a que des hommes vertueux qui doivent être admis dans votre commerce. Pour moi, j’oublierai les horreurs dont cet homme m’accable tous les jours si je peux obtenir votre indulgence.

J’ai l’honneur d’être, monsieur, avec tous les sentiments respectueux que j’ai toujours eus pour vous, etc.


351. — À M. THIERIOT,
à londres.
Paris, 24 juillet.

Je ne suis pas encore tout à fait logé ; j’achevais mon nid, et j’ai bien peur d’en être chassé pour jamais. Je sens de jour en jour, et par mes réflexions et par mes malheurs, que je ne suis pas fait pour habiter en France. Croiriez-vous bien que monsieur le garde des sceaux[3] me persécute pour ce malheureux Temple du Goût, comme on aurait poursuivi Calvin pour avoir abattu une partie du trône du pape ? Je vois heureusement qu’on verse en Angleterre un peu de baume sur les blessures que me fait la France. Remerciez, je vous en prie, de ma part, l’auteur du Pour et Contre[4] des éloges dont il m’a honoré. Je suis bien aise qu’il flatte ma vanité, après avoir si souvent excité ma sensibilité par ses ouvrages. Cet homme-là était fait pour me faire éprouver tous les sentiments.

Vous me ferez le plus sensible plaisir du monde de retarder,

  1. L’abbé Desfontaines.
  2. Voltaire n’a pas tenu parole, comme on sait ; voyez tome XXIII, pages 25, 27.
  3. Germain-Louis de Chauvelin, souvent cité dans ce volume. Il força Voltaire à s’exiler de Paris, en 1734, et il fut exilé lui-même, le 20 février 1737.
  4. L’abbé Prévost ; voyez la lettre 344.