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dant tout ce temps, mon cher ami, que je m’épuise, que je me tue pour amuser ma f… patrie, je suis entouré d’ennemis, de persécutions, et de malheurs. Ce Temple du Goût a soulevé tous ceux que je n’ai pas assez loués à leur gré, et encore plus ceux que je n’ai point loués du tout ; on m’a critiqué, on s’est déchaîné contre moi, on a tout envenimé. Joignez à cela le crime d’avoir fait imprimer cette bagatelle sans une permission scellée avec de la cire jaune, et la colère du ministère contre cet attentat ; ajoutez-y les criailleries de la cour, et la menace d’une lettre de cachet ; vous n’aurez, avec cela, qu’une faible idée de la douceur de mon état, et de la protection qu’on donne aux belles-lettres. Je suis donc dans la nécessité de rebâtir un second Temple ; et in triduo reædificavi illud[1]. J’ai tâché, dans ce second édifice, d’ôter tout ce qui pouvait servir de prétexte à la fureur des sots et à la malignité des mauvais plaisants, et d’embellir le tout par de nouveaux vers sur Lucrèce, sur Corneille, Racine, Molière, Despréaux, La Fontaine, Quinault, gens qui méritent bien assurément que l’on ne parle pas d’eux en simple prose. J’y ai joint de nouvelles notes, qui seront plus instructives que les premières, et qui serviront de preuves au texte. Monsieur votre frère-[2], qui me tient ici lieu de vous, qui devient de jour en jour plus homme de lettres, vous enverra le tout bien conditionné, et vous pourrez en régaler, si vous voulez, quelque libraire. Je crois que l’ouvrage sera utile, à la longue, et pourra mettre les étrangers au fait des bons auteurs. Jusqu’à présent il n’y a personne qui ait pris la peine de les avertir que Voiture est un petit esprit, et Saint-Évremond un homme bien médiocre, etc.

Cependant les Lettres en question peuvent paraître à Londres. Je vous fais tenir celle sur les académies, qui est la dernière[3]. J’en aurais ajouté de nouvelles ; mais je n’ai qu’une tête, encore est-elle petite et faible, et je ne peux faire, en vérité, tant de choses à la fois. Il ne convient pas que cet ouvrage paraisse donné par moi. Ce sont des lettres familières que je vous ai écrites, et que vous faites imprimer ; par conséquent, c’est à vous seul à mettre à la tête un avertissement qui instruise le public que mon ami Thieriot, à qui j’ai écrit ces guenilles vers l’an 1728, les fait imprimer en 1733, et qu’il m’aime de tout son cœur.

  1. Matth., xxvi, 61 ; xxvii, 40.
  2. Ce frère du vaniteux Thieriot était un honnête marchand qui faisait assez souvent les commissions de Voltaire, Cité dans la lettre du 25 février 1737, à d’Argental. (Cl.)
  3. La’24e des Lettres philosophiques : voyez tome XXII, page 182.