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tous les systèmes de ce grand philosophe. J’évite avec soin d’entrer dans les calculs. Je me regarde comme un homme qui arrange ses affaires, sans chiffrer avec son intendant. Il n’y a qu’une Lettre touchant M. Locke. La seule matière philosophique que j’y traite est la petite bagatelle de l’immatérialité de l’âme ; mais la chose est trop de conséquence pour la traiter sérieusement[1]. Il a fallu l’égayer, pour ne pas heurter de front nos seigneurs les théologiens, gens qui voient si clairement la spiritualité de l’âme qu’ils feraient brûler, s’ils pouvaient, les corps de ceux qui en doutent. J’ai envoyé un autre ouvrage à Jore, avec le privilège de Zaïre : c’est une Épître dèdicatoire d’un goût un peu nouveau. Je vous prie d’en retarder l’impression de quelques jours. Je ne l’ai adressé à M. Jore qu’afin qu’il la communiquât à mes deux juges, qui sont M. de Formont et M. de Cideville. Il y a bien des changements à y faire. Je compte vous en faire tenir incessamment une nouvelle copie.

On a joué, depuis peu, aux Italiens, deux critiques[2] de Zaïre : elles sont tombées l’une et l’autre ; mais leur humiliation ne me donne pas grand amour-propre, car les Italiens pourraient être de fort mauvais plaisants, sans que Zaire en fût meilleure.

Il y a ici quelques livres nouveaux oubliés en naissant, tels que le Repos de Cyrus[3], les Poésies du sieur Tannevot, et autres denrées. Le Spectacle de la Nature, compilation assez bonne, dans un style ridicule, a eu un succès assez équivoque. Moncrif va être de l’Académie française[4], et faire jouer sa comédie des Abderites[5] afin de justifier le choix des Quarante aux yeux du public. Vale.



  1. Voltaire est revenu souvent sur ce sujet ; voyez, entre autres, l’article Ame, dans le Dictionnaire philosophique, tome XVII, page 130.
  2. Arlequin au Parnasse, et les Enfants trouvés. Voyez, tome II, une note de la page 536.
  3. Par l’abbé Jacques Pernetti, qui fut, trente ans plus tard, en correspondance avec Voltaire.

    — Alexandre Tannevot, auteur d’un écrit adressé à Voltaire, contre l′Épître à Uranie, fut poëte médiocre et censeur royal.

    — L’abbé Pluche fit paraître la première partie du Spectacle de la Nature en 1732. (Cl.)

  4. Il paraît que Moncrif se présenta pour remplacer Ch. du Cambout, évêque de Metz, mort le 28 novembre 1732; mais la place fut donnée à J.-B. Surian, évèque de Vence. Moncrif n’entra à l’Académie que le 29 décembre 1733. Il succédait à Caumartin, évêque de Blois, mort le 30 août 1733. (B.)
  5. La comédie des Abderites avait été jouée à Fontainebleau, en novembre 1732.