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nière lettre, de Zaïre, et vous me donniez de très-bons conseils. Je suis un ingrat de toutes façons. J’ai passé deux mois sans vous en remercier, et je n’en ai pas assez profité. J’aurais dû employer une partie de mon temps à vous écrire, et l’autre à corriger Zaïre. Mais je l’ai perdu tout entier, à Fontainebleau, à faire des querelles entre les actrices, pour des premiers rôles, et entre la reine et les princesses, pour faire jouer des comédies, à former de grandes factions pour des bagatelles, et à brouiller toute la cour pour des riens. Dans les intervalles que me laissaient ces importantes billevesées, je m’amusais à lire Newton, au lieu de retoucher notre Zaïre. Je suis enfin déterminé à faire paraître ces Lettres anglaises, et c’est pour cela qu’il m’a fallu relire Newton : car il ne m’est pas permis de parler d’un si grand homme sans le connaître. J’ai refondu entièrement les lettres où je parlais de lui, et j’ose donner un petit précis de toute sa philosophie. Je fais son histoire et celle de Descartes. Je touche en peu de mots les belles découvertes et les innombrables erreurs de notre René. J’ai la hardiesse de soutenir le système d’Isaac, qui me paraît démontré. Tout cela fera quatre[1] ou cinq lettres, que je tâche d’égayer et de rendre intéressantes autant que la matière peut le permettre. Je suis aussi obligé de changer tout ce que j’avais écrit à l’occasion de M. Locke[2], parce qu’après tout je veux vivre en France, et qu’il ne m’est pas permis d’être aussi philosophe qu’un Anglais. Il me faut déguiser à Paris ce que je ne pourrais dire trop fortement à Londres. Cette circonspection, malheureuse, mais nécessaire, me fait rayer plus d’un endroit assez plaisant sur les quakers et les presbytériens. Le cœur m’en saigne ; Thieriot[3] en souffrira ; vous regretterez ces endroits, et moi aussi ; mais

Non me fata meis patientur scribere nugas
Auspiciis, et sponte mea componere chartas.

(Virg. Énéide, IV, v. 340,)

J’ai lu au cardinal de Fleury deux lettres sur les quakers, desquelles j’avais pris grand soin de retrancher tout ce qui pouvait effaroucher Sa dévote et sage Éminence. Il a trouvé ce

    se maria en 1732, et, l′année suivante, emprunta 18,000 livres à Voltaire. Voyez la lettre 342.

  1. Voyez les 14e, 15e, 16e, 17e Lettres philosophiques, tome XXII, pages 127 et suiv.
  2. C’est la 13e des Lettres philosophiques.
  3. Le bénéfice de l’édition était abandonné à Thieriot.