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ANNÉE 1713.

vous vous accommoderez chez elle, et si vous avez assez de bonté pour vouloir bien voir un pauvre prisonnier qui vous adore, vous vous donnerez la peine de venir sur la brune à l’hôtel. À quelle cruelle extrémité sommes-nous réduits, ma chère ? Est-ce à vous à me venir trouver ? Voilà cependant l’unique moyen de nous voir : vous m’aimez ; ainsi j’espère vous voir aujourd’hui dans mon petit appartement. Le bonheur d’être votre esclave me fera oublier que je suis le prisonnier de ***. Mais comme on connaît mes habits, et que par conséquent on pourrait vous reconnaître, je vous enverrai un manteau qui cachera votre justaucorps et votre visage ; je louerai même un justaucorps pour plus de sûreté : mon cher cœur, songez que ces circonstances sont bien critiques ; défiez-vous, encore un coup, de madame votre mère, défiez-vous de vous-même ; mais comptez sur moi comme sur vous, et attendez tout de moi, sans exception, pour vous tirer de l’abîme où vous êtes ; nous n’avons plus besoin de serments pour nous faire croire. Adieu, mon cher cœur ; je vous aime, je vous adore.

Arouet.

C’est le valet de pied en question qui vous porte cette lettre.


10. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Je ne sais si je dois vous appeler monsieur ou mademoiselle ; si vous êtes adorable en cornettes, ma foi vous êtes un aimable cavalier, et notre portier, qui n’est point amoureux de vous, vous a trouvé un très-joli garçon. La première fois que vous viendrez, il vous recevra à merveille. Vous aviez pourtant la mine aussi terrible qu’aimable, et je crains que vous n’ayez tiré l’épée dans la rue, afin qu’il ne vous manquât plus rien d’un jeune homme : après tout, tout jeune homme que vous êtes, vous êtes sage comme une fille.

Enfin je vous ai vu, charmant objet que j’aime,
En cavalier déguisé dans ce jour ;
J’ai cru voir Vénus elle-même
Sous la figure de l’Amour.
L’Amour et vous, vous êtes du même âge,
Et sa mère a moins de beauté ;
Mais, malgré ce double avantage,
J’ai reconnu bientôt la vérité.
Olympe, vous êtes trop sage
Pour être une divinité.