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enfermé parmi les esclaves d’Orosmane. Il retrouva dans la captivité une jeune personne avec qui il avait été prisonnier dans son enfance, lorsque les chrétiens avaient perdu Césarée. Cette jeune personne, à qui on avait donné le nom de Zaïre, ignorait sa naissance aussi bien que Nérestan et que tous ces enfants de tribut qui sont enlevés de bonne heure des mains de leurs parents, et qui ne connaissent de famille et de patrie que le sérail. Zaïre savait seulement qu’elle était née chrétienne ; Nérestan et quelques autres esclaves, un peu plus âgés qu’elle, l’en assuraient. Elle avait toujours conservé un ornement qui renfermait une croix, seule preuve qu’elle eût de sa religion. Une autre esclave, nommée Fatime, née chrétienne et mise au sérail à l’âge de dix ans, tâchait d’instruire Zaïre du peu qu’elle savait de la religion de ses pères. Le jeune Nérestan, qui avait la liberté de voir Zaïre et Fatime, animé du zèle qu’avaient alors les chevaliers français, touché d’ailleurs pour Zaïre de la plus tendre amitié, la disposait au christianisme. Il se proposa de racheter Zaïre, Fatime, et dix chevaliers chrétiens, du bien qu’il avait acquis en France, et de les amener à la cour de saint Louis. Il eut la hardiesse de demander au Soudan Orosmane la permission de retourner en France sur sa seule parole, et le soudan eut la générosité de le permettre. Nérestan partit, et fut deux ans hors de Jérusalem.

Cependant la beauté de Zaïre croissait avec son âge, et la naïveté touchante de son caractère la rendait encore plus aimable que sa beauté, Orosmane la vit et lui parla. Un cœur comme le sien ne pouvait l’aimer qu’éperdument. Il résolut de bannir la mollesse qui avait efféminé tant de rois de l’Asie, et d’avoir dans Zaïre un ami, une maîtresse, une femme qui lui tiendrait lieu de tous les plaisirs, et qui partagerait son cœur avec les devoirs d’un prince et d’un guerrier. Les faibles idées du christianisme, tracées à peine dans le cœur de Zaïre, s’évanouirent bientôt à la vue du Soudan : elle l’aima autant qu’elle en était aimée, sans que l’ambition se mêlât en rien à la pureté de sa tendresse.

Nérestan ne revenait point de France. Zaïre ne voyait qu’Orosmane et son amour ; elle était prête d’épouser le sultan, lorsque le jeune Français arriva, Orosmane le fait entrer en présence même de Zaïre. Nérestan apportait, avec la rançon de Zaïre et de Fatime, celle de dix chevaliers qu’il devait choisir, « J’ai satisfait à mes serments, dit-il au soudan : c’est à toi de tenir ta promesse, de me remettre Zaïre, Fatime, et les dix chevaliers ; mais apprends que j’ai épuisé ma fortune à payer leur rançon : une pauvreté