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Vous trouverez vingt comédiens qui plairont dans les rôles d’Andronie et d’Hippolyte, et à peine un seul qui réussisse dans ceux de Cinna et d’Horace. Il a donc fallu me plier aux mœurs du temps, et commencer tard à parler d’amour.

J’ai cherché du moins à couvrir cette passion de toute la bienséance possible ; et, pour l’ennoblir, j’ai voulu la mettre à côté de ce que les hommes ont de plus respectable. L’idée me vint de faire contraster dans un même tableau, d’un côté, l’honneur, la naissance, la patrie, la religion ; et de l’autre, l’amour le plus tendre et le plus malheureux ; les mœurs des mahométans et celles des chrétiens ; la cour d’un Soudan et celle d’un roi de France ; et de faire paraître, pour la première fois, des Français sur la scène tragique. Je n’ai pris dans l’histoire que l’époque de la guerre de saint Louis : tout le reste est entièrement d’invention. L’idée de cette pièce étant si neuve et si fertile, s’arrangea d’elle-même ; et au lieu que le plan d’Ériphyle m’avait beaucoup coûté, celui de Zaïre fut fait en un seul jour ; et l’imagination, échauffée par l’intérêt qui régnait dans ce plan, acheva la pièce en vingt-deux jours.

Il entre peut-être un peu de vanité dans cet aveu (car où est l’artiste sans amour-propre ? ), mais je devais cette excuse au public, des fautes et des négligences qu’on a trouvées dans ma tragédie. Il aurait été mieux sans doute d’attendre à la faire représenter que j’en eusse châtié le style ; mais des raisons dont il est inutile de fatiguer le public n’ont pas permis qu’on différât. Voici, monsieur, le sujet de cette pièce.

La Palestine avait été enlevée aux princes chrétiens par le conquérant Saladin. Noradin, Tartare d’origine, s’en était ensuite rendu maître. Orosmane, fils de Noradin, jeune homme plein de grandeur, de vertus et de passions, commençait à régner avec gloire dans Jérusalem. Il avait porté sur le trône de la Syrie la franchise et l’esprit de liberté de ses ancêtres. Il méprisait les règles austères du sérail, et n’affectait point de se rendre invisible aux étrangers et à ses sujets, pour devenir plus respectable. Il traitait avec douceur les esclaves chrétiens, dont son sérail et ses États étaient remplis. Parmi ses esclaves il s’était trouvé un enfant, pris autrefois au sac de Césarée, sous le règne de Noradin. Cet enfant ayant été racheté par des chrétiens à l’âge de neuf ans, avait été amené en France au roi saint Louis, qui avait daigné prendre soin de son éducation et de sa fortune. Il avait pris en France le nom de Nérestan ; et, étant retourné en Syrie, il avait été fait prisonnier encore une fois et avait été