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CORRESPONDANCE.

n’est capable de me détacher de vous : notre amour est fondé sur la vertu, il durera autant que notre vie. Donnez ordre au cordonnier d’aller chercher une chaise ; mais non, je ne veux point que vous vous en fiiez à lui ; tenez-vous prête dès quatre heures, je vous attendrai proche votre rue. Adieu ; il n’est rien à quoi je ne m’expose pour vous : vous en méritez bien davantage. Adieu, mon cher cœur.

Arouet.


8. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Je ne partirai, je crois, que lundi ou mardi ; il semble, ma chère, qu’on ne recule mon départ que pour me faire mieux sentir le cruel chagrin d’être dans la même ville que vous, et de ne pouvoir vous y voir. On observe ici tous mes pas : je ne sais même si Lefèvre pourra te rendre cette lettre. Je te conjure, au nom de Dieu, sur toutes choses, de n’envoyer ici personne de ta part sans en avoir concerté avec moi ; j’ai des choses d’une conséquence extrême à vous dire : vous ne pouvez pas venir ici ; il m’est impossible d’aller de jour chez vous : je sortirai par une fenêtre à minuit ; si tu as quelque endroit où je puisse te voir ; si tu peux à cette heure quitter le lit de ta mère, en prétextant quelque besoin, au cas qu’elle s’en aperçoive ; enfin, si tu peux consentir à cette démarche sans courir de risque, je n’en courrai aucun ; mande-moi si je peux venir à ta porte cette nuit, tu n’as qu’à le dire à Lefèvre de bouche. Informe-moi surtout de ta santé. Adieu, mon aimable maîtresse ; je t’adore, et je me réserve à t’exprimer toute ma tendresse en te voyant.

Arouet.


9. — À MADEMOISELLE DUNOYER.

Je viens d’apprendre, mon cher cœur, que je pourrai partir avec M. de M*** en poste, dans sept ou huit jours ; mais que le plaisir de rester dans la ville où vous êtes me coûtera de larmes ! On m’a imposé la nécessité d’être prisonnier jusqu’à mon départ, ou de partir sur-le-champ. Ce serait vous trahir que de venir vous voir ce soir : il faut absolument que je me prive du bonheur d’être auprès de vous, afin de vous mieux servir. Si vous voulez pourtant changer nos malheurs en plaisirs, il ne tiendra qu’à vous ; envoyez Lisbette sur les trois heures, je la chargerai pour vous d’un paquet qui contiendra des habillements d’homme ;