Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/261

Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
ANNÉE 1731.

Linant[1], qui me serait cher, pour peu qu’il fît quatre bons vers sur cinquante. Le patriarche[2] des vers durs vient de mourir. C’est bien dommage, car son commerce était aussi plein de douceur que ses poésies de dureté. C’est un bon homme, un bel esprit, et un poëte médiocre de moins. L’évêque de Luçon[3], fils de ce Bussy-Rabutin qui avait plus de réputation qu’il n’en méritait, succède à Lamotte dans la place d’académicien, place méprisée par les gens qui pensent, respectée encore par la populace, et toujours courue par ceux qui n’ont que de la vanité. Notre Èriphyle sera bientôt jouée. Vous la trouverez bien différente de ce qu’elle était. J’ai fini le moins mal que j’ai pu le tableau dont vous vîtes l’esquisse à Rouen. Je me flatte encore de vous voir à Paris, aux premières représentations. Je jouirai bien de votre commerce, car me voici votre voisin. Mme  de Fontaine-Martel, la déesse de l’hospitalité[4], me donne à coucher dans son appartement bas, qui regarde sur le Palais-Royal. Je n’en désemparerai pas, tant que vous serez chez M. des Alleurs.

Quand nous souperons ensemble,

Nous parlerons de tout, et ne traiterons rien[5],

comme dit un certain auteur très-aimable ; mais, hors de là, je veux traiter avec vous beaucoup de choses. À l’égard de Jore, on m’a assuré qu’il n’avait rien à craindre. Il peut retourner à Rouen ; mais je ne lui conseille pas de revenir sitôt à Paris. Gardez toujours chez vous, je vous en supplie, les ballots[6] à qui vous avez bien voulu donner retraite. Je voudrais être déjà quitte de toute cette besogne ; mais il faut vous voir longtemps pour que la besogne soit bonne.

Carmen reprehendite, quod non
Mulla dies, et multa litura coercuit…

(Hor., de Art. poet., v. 292.)

Adieu,

Nostrorum operum candide judex.

(Hor., I, ep. iv, v. 1.)
  1. Michel Linant (cité plus haut), né vers 1708, mort à Paris, le 11 décembre 1749 ; auteur dramatique qui donna, en 1738-39, une édition des Œuvres de M. de Voltaire, en 4 vol. in-8o, fig., avec une préface de sa façon. (Cl.)
  2. Houdard de Lamotte, cité dans la lettre précédente.
  3. C’est à lui qu’est adressée la lettre 27.
  4. Mme  de Fontaine-Martel avait donné à Thieriot un logement et une pension de 1,200 livres (Voltaire dit 1,500 livres dans une lettre à Thieriot classée à la fin de juin 1735). Elle mourut dans les bras de Voltaire, en janvier 1735.
  5. Ce vers doit être de Formont.
  6. De la Henriade et de l’Histoire de Charles XII, imprimées à Rouen.