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ANNÉE 1731.

et des jansénistes, aimez-vous toujours Êriphyle ? Vous m’exhortez à travailler ; mais vous ne me dites point si vous êtes content de ce que je vous ai proposé, à vous et à M. de Cideville. Il me semble que le grand mal de cette pièce venait de ce qu’elle semblait plutôt faite pour étonner que pour intéresser. La bonne reine, vieille pécheresse pénitente, était bernée par les dieux pendant cinq actes, sans aucun intervalle de joie qui rafraîchît le spectateur. Les plus grands coups de la pièce étaient trop soudains, et ne laissaient pas au spectateur le temps de se reposer un moment sur les sentiments qu’on venait de lui inspirer in ictu oculi[1] ; on assemblait le peuple, au troisième acte ; on déclarait roi le fils d’Ériphyle ; Hermogide donnait sur-le-champ un nouveau tour aux affaires en disant qu’il avait tué cet enfant. La nomination d’Alcméon faisait, à l’instant, un nouveau coup de théâtre. Théandre arrivait dans la minute, et faisait tout suspendre, en disant que les dieux faisaient le diable à quatre. Tant d’éclairs coup sur coup éblouissaient. Il faut une lumière plus douce. L’esprit, emporté par tant de secousses, ne pouvait se fixer ; et, quand l’ombre arrivait après tant de vacarme, ce n’était qu’un coup de massue sur Alcméon et Êriphyle, déjà atterrés et étourdis de tant de chutes. Théandre avait précédé les menaces de l’ombre par des discours déjà trop menaçants, et qui, pour comble de défauts, ne convenaient pas dans la bouche de Théandre, qui, selon ce que j’en ai dit dans une lettre à M. de Cideville, parlait trop ou trop peu, et n’était qu’un personnage équivoque. Ne convenez-vous pas de tous ces défauts ? Mais, en même temps, ne sentez-vous pas combien il est aisé de les corriger ? Qui voit bien le mal voit aussitôt le remède. Il n’y a qu’à prendre la route opposée ; contraria contrariis curantur.. Vous saurez bientôt si j’ai corrigé tant de fautes avec quelque succès. Je compte faire partir Ériphile pour Rouen, avant qu’il soit peu ; mais j’aurais bien voulu savoir auparavant ce que vous et M. de Cideville pensez des changements que je dois faire. Peut-être me renverrez-vous encore Ériphyle. Ne manquez pas, messieurs, de me la renvoyer impitoyablement si vous la trouvez mal. Vous avez tous deux des droits incontestables sur cet enfant, que vous avez vu naître.

Adieu ; je vous embrasse bien tendrement. Mille compliments à l’ami Cideville.

  1. Saint Paul, I Corinth., xv, 52.