Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/240

Cette page a été validée par deux contributeurs.
222
CORRESPONDANCE.

mais j’ai obligation à ceux qui m’en reprennent ; et je n’ai jamais répondu à une critique qu’en tâchant de me corriger.

Cette vérité, que j’aime dans les autres, j’ai droit d’exiger que les autres la souffrent en moi. M. de Lamotte sait avec quelle franchise je lui ai parlé, et que je l’estime assez pour lui dire, quand j’ai l’honneur de le voir, quelques défauts que je crois apercevoir dans ses ingénieux ouvrages. Il serait honteux que la flatterie infectât le petit nombre d’hommes qui pensent. Mais plus j’aime la vérité, plus je hais et dédaigne la satire, qui n’est jamais que le langage de l’envie. Les auteurs qui veulent apprendre à penser aux autres hommes doivent leur donner des exemples de politesse comme d’éloquence, et joindre les bienséances de la société à celles du style. Faut-il que ceux qui cherchent la gloire courent à la honte par leurs querelles littéraires, et que les gens d’esprit deviennent souvent la risée des sots !

On m’a souvent envoyé en Angleterre des épigrammes et de petites satires contre M. de Fontenelle ; j’ai eu soin de dire, pour l’honneur de mes compatriotes, que ces petits traits qu’on lui décoche ressemblent aux injures que l’esclave disait autrefois au triomphateur.

Je crois que c’est être bon Français de détourner, autant qu’il est en moi, le soupçon qu’on a dans les pays étrangers que les Français ne rendent jamais justice à leurs contemporains. Soyons justes, messieurs, ne craignons ni de blâmer, ni surtout de louer ce qui le mérite ; ne lisons point Pertharite, mais pleurons Polyeucte. Oublions, avec M. de Fontenelle, des lettres[1] composées dans sa jeunesse ; mais apprenons par cœur, s’il est possible, les Mondes, la Préface de l’Histoire de l’Académie des sciences, etc. Disons, si vous voulez, à M. de Lamotte, qu’il n’a pas assez bien traduit l’Illiade, mais n’oublions pas un mot des belles odes et des autres pièces heureuses qu’il a faites. C’est ne pas payer ses dettes que de refuser de justes louanges. Elles sont l’unique récompense des gens de lettres ; et qui leur payera ce tribut, sinon nous, qui, courant à peu près la même carrière, devons connaître mieux que d’autres la difficulté et le prix d’un bon ouvrage ?

J’ai entendu dire souvent en France que tout est dégénéré, et qu’il y a dans tout genre une disette d’hommes étonnante. Les étrangers n’entendent à Paris que ces discours, et ils nous croient aisément sur notre parole ; cependant quel est le siècle

  1. Voyez la note, tome XXIII, page 398.