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CORRESPONDANCE.

-huitième lettre, des plaintes injurieuses que l’on vous adresse contre moi, sur lesquelles il est juste que j’aie l’honneur de vous écrire, moins pour ma propre justification que pour l’intérêt de la vérité.

Un ami ou peut-être un parent de feu M. de Campistron[1] me fait des reproches pleins d’amertume et de dureté de ce que j’ai, dit-il, insulté à la mémoire de cet illustre écrivain, dans une brochure de ma façon, et que je me suis servi de ces termes indécents, le pauvre Campistron. Il aurait raison, sans doute, de me faire ce reproche, et vous, messieurs, de l’imprimer, si j’avais en effet été coupable d’une grossièreté si éloignée de mes mœurs. C’est pour moi une surprise également vive et douloureuse de voir que l’on m’impute de pareilles sottises. Je ne sais ce que c’est que cette brochure[2], je n’en ai jamais entendu parler. Je n’ai fait aucune brochure en ma vie : si jamais homme devait être à l’abri d’une pareille accusation, j’ose dire que c’était moi, messieurs.

Depuis l’âge de seize ans, où quelques vers un peu satiriques[3], et par conséquent très-condamnables, avaient échappé à l’imprudence de mon âge et au ressentiment d’une injustice, je me suis imposé la loi de ne jamais tomber dans ce détestable genre d’écrire. Je passe mes jours dans des souffrances continuelles de corps qui m’accablent, et dans l’étude des bons livres, qui me console ; j’apprends quelquefois, dans mon lit, que l’on m’impute, à Paris, des pièces fugitives que je n’ai jamais vues, et que je ne verrai jamais. Je ne puis attribuer ces accusations frivoles à aucune jalousie d’auteur : car qui pourrait être jaloux de moi ? Mais quelque motif qu’on ait pu avoir pour me charger de pareils écrits, je déclare ici, une bonne fois pour toutes, qu’il n’y a personne en France qui puisse dire que je lui aie jamais fait voir, depuis que je suis hors de l’enfance, aucun écrit satirique en vers ou en prose ; et que celui-là se montre, qui puisse seulement avancer que j’aie jamais applaudi un seul de ces écrits, dont le mérite consiste à flatter la malignité humaine.

Non-seulement je ne me suis jamais servi de termes injurieux,

  1. Il s’appelait de Gourdon de Bach ; il est mort vers 1750, avant l’impression d’une édition des Œuvres de Campistron, qu’il avait commencée, et qui fut achevée par Bonneval.
  2. C’est en 1723 qu’avaient paru des Sentiments d′un spectateur français sur la nouvelle tragédie d’Inès de Castro (voyez la note 1 de la page 89) : on y critique un vers du pauvre M. de Campistron.
  3. Voltaire veut parler du Bourbier (voyez tome X) ; mais cette pièce est de 1714 ; l’auteur avait vingt ans, et non seize, lorsqu’il la composa. (B.)