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CORRESPONDANCE.

où pourtant mes affaires m’appellent. J’attends de votre amitié que vous m’informerez exactement, mon cher Thieriot, de la vérité de ces bruits, de ce que j’ai à craindre, et de ce que j’ai à faire. Mandez-moi le mal et le remède. Dites-moi si vous me conseillez d’écrire et de faire parler, ou de me taire et de laisser faire au temps.

On a commencé, sans ma participation, deux éditions de Charles XII, en Angleterre et en France. Ne pourriez-vous point savoir de M. de Chauvelin[1] quel sera, en cette occasion, l’esprit des ministres de la librairie ?

À l’égard du secret que je vous confiai en partant, et qui échappa à M. l’abbé de Rothelin, soyez impénétrable, soyez indevinable. Dépaysez les curieux. Peut-être aura-t-on lu déjà aux comédiens Eriphyle[2]. Détournez tous les soupçons. Je vous conjure de me rendre ce service avec votre amitié ordinaire.

Je n’ai écrit qu’à vous en France.

Thieriot mihi primus amores

Abstulit ; ille habeat secum.[3]



215. — À M. THIERIOT.
30 juin.

J’ai reçu votre lettre, mon cher Thieriot. Ne soyez pas étonné du silence que j’ai gardé un mois entier. J’ai repris mon ancienne sympathie avec vous. J’avais la fièvre quand vous aviez le dévoiement, et j’ai passé un mois entier dans mon lit. Ce qui m’a prolongé ma fièvre est un étrange régime où je me suis mis. J’ai fait toute la tragédie de César depuis qu’Ériphyle est dans son cadre. J’ai cru que c’était un sûr moyen pour dépayser les curieux sur Ériphyle : car le moyen de croire que j’aie fait César[4] et Ériphyle, et achevé Charles XII, en trois mois ! Je n’aurais pas fait pareille besogne à Paris en trois ans. Mais vous savez bien quelle prodigieuse différence il y a entre un esprit recueilli dans la retraite et un esprit dissipé dans le monde :

Carmina secessum scribentis et otia quærunt.

(Ovid., I, Trist., I, 41.)
  1. Le maître des requêtes, cité dans la lettre à Cideville, du 3 février.
  2. Voyez tome II, page 453.
  3. Parodie de ces vers de Virgile, Æn, VI, 28 :

    Ille meos, primus qui me sibi junxit, amores
    Abstulit ; ille habeat secum, servetque sepulcro.

  4. La Mort de César, imprimée en 1735, et jouée seulement en 1743, sur un grand théâtre.