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CORRESPONDANCE.

211. — À M. FAVIÈRES.

4 mars.

Je vous suis très-obligé, mon cher Favières, des vers latins et français que vous avez bien voulu m’envoyer. Je ne sais point qui est l’auteur des latins[1] ; mais je le félicite, quel qu’il soit, sur le goût qu’il a, sur son harmonie, et sur le choix de sa bonne latinité, et surtout de l’espèce convenable à son sujet.

Rien n’est si commun que des vers latins, dans lesquels on mêle le style de Virgile avec celui de Térence, ou des épîtres d’Horace. Ici il paraît que l’auteur s’est toujours servi de ces expressions tendres et harmonieuses qu’on trouve dans les églogues de Virgile, dans Tibulle, dans Properce, et même dans quelques endroits de Pétrone, qui respirent la mollesse et la volupté.

Je suis enchanté de ces vers :

Ridet ager, lascivit humus, nova nascitur arbos…
Basia lascivœ jungunt repetita columbœ.

Et, en parlant de l’Amour :

Vulnere qui certo lœdere pectus amat.

Je n’oublierai pas cet endroit où il parle des plaisirs qui fuient avec la jeunesse :

Sic fugit humanœ tempeslas aurea vitæ,
Arguti fugiunt, agmina blanda, joci.

Je citerais trop de vers, si je marquais tous ceux dont j’ai goûté la force et l’énergie.

Mais quoique l’ouvrage soit rempli de feu et de noblesse, je conseillerais plutôt à un homme qui aurait du goût et du talent pour Ja littérature, de les employer à faire des vers français. C’est à ceux qui peuvent cultiver les belles-lettres avec avantage à faire à notre langue l’honneur qu’elle mérite. Plus on a fait provision des richesses de l’antiquité, et plus on est dans l’obligation de les transporter en son pays. Ce n’est pas à ceux qui

  1. Favières, conseiller au parlement, était l’auteur du poëme latin intitulé Ver, Carmen pentametrum. La traduction française est attribuée à Querlon. La réponse de Favières à Voltaire se trouve dans le quatorzième volume des Amusements du cœur et de l’esprit. (B.)