sans que monsieur le garde des sceaux en sache encore le moindre mot. Voilà, monsieur, tout ce que je puis alléguer ; le reste dépend de votre amitié pour moi, de votre éloquence, et du caractère facile ou revêche de M. de Pontcarré, que je ne connais point. Tout est entre vos mains : mitte sapientem et nihil dicas. Vous êtes de ces ambassadeurs à qui il faut donner carte blanche. M. de Lézeau, que j’ai vu à Paris, et qui sait tout ceci, me gardera sans doute le secret. Je compte qu’il vous a remis le livre, et que personne que vous ne le verra, sauf monsieur le premier président. Adieu ; mille remerciements ; je vous embrasse bien tendrement. Écrivez dorénavant sous l’adresse de M. Dubreuil, cloître Saint-Merry.
Monsieur le premier président est un homme bien épineux ; mais vous êtes un homme adorable. Je vous prie de lui montrer à bon compte le premier volume. Le manuscrit qui contient le second tome n’est pas encore prêt. Les difficultés que l’on pourrait faire ne peuvent regarder que le premier tome imprimé, puisqu’il ne s’agit guère, dans le second, que des aventures de chevalier errant que ce Suédois, moitié héros et moitié fou, mit à fin en Turquie et en Norvège, deux pays avec lesquels la librairie française a peu d’intérêts à ménager. Je ne doute point, si le premier président est un homme d’esprit, ou, ce qui vaut mieux, un homme aimable, qu’il ne soit tout à fait de vos amis, et qu’il ne fasse ce que vous voudrez. Je ne voudrais pas vous commettre avec lui, ni lui avec monsieur le garde des sceaux. Je puis vous donner ma parole d’honneur, et vous pouvez lui donner la vôtre, que tout ce qui a obligé monsieur le garde des sceaux à retirer le privilège a été la crainte de déplaire au roi Auguste[1] dont on est obligé de dire des vérités un peu fâcheuses. Mais, en même temps, comme ces vérités sont publiques en Europe, et ont été imprimées dans trente ou quarante histoires
- ↑ Roi de Pologne ; voyez tome XIII, page 213.
mort le 14 mars 1767. C’était le frère aîné du marquis de Chauvelin mort en 1774, et de l’abbé si connu par ses principes anti-jésuitiques. Il est question de ces trois frères dans la lettre du 1er octobre 1759, à d’Argental. Ils étaient de la branche de Beau-Séjour ; mais Germain-Louis Chauvelin, garde des sceaux, et inquisiteur littéraire, qui persécuta Voltaire pour les Lettres philosophiques et le Mondain, appartenait à la branche de Grisenoi. (Cl.)