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CORRESPONDANCE.



179. — À M. ***[1]

À Wandsworth, 11/22 juillet.

Monsieur, j’ai reçu votre obligeante lettre, et peu de jours après Mme  la comtesse de La Lippe m’a remis la médaille dont Sa Majesté[2] a bien voulu m’honorer. Je la garderai toute ma vie bien précieusement, puisqu’elle me vient d’une si grande reine, et qu’elle représente la reine d’Angleterre, laquelle, par ses vertus et ses grandes qualités, fait aisément songer à la reine de Prusse.

Je vous supplie, monsieur, de vouloir bien présenter à Sa Majesté mes très-humbles remerciements. Je suis honteux d’être si peu digne de ses bontés. Je voudrais pouvoir un jour avoir l’honneur de lui faire ma cour ; il me semble que mes ouvrages en vaudraient mieux si j’avais de pareils modèles à peindre.

Je prends la liberté, monsieur, de vous envoyer dans ce paquet, que j’adresse à M. Ostemback, résident de Prusse à Londres, un exemplaire d’une des éditions qu’on a faites à Londres de la Henriade. Elles sont toutes très-incorrectes ; je vous demande pardon pour les fautes de l’imprimeur et pour celles de l’auteur. Je n’ai aucun exemplaire de la grande édition in-4o  ; sans cela je ne manquerais pas d’avoir l’honneur de vous l’envoyer.

Rien ne me flatte plus que votre approbation. La récompense

    je ne donne une plus ample notion de cet auteur. Le style est d’ailleurs d’après le genre anglais ; tant de comparaisons, tant de choses, qui paraissent ici simples et familières, sembleraient trop vulgaires à vos beaux esprits de Paris. En un mot, je ne connais rien d’aussi impertinent que de vouloir me traduire en dépit de mes dents. Votre affaire à vous doit être d’essayer de gagner du temps, d’effrayer ce traducteur par le moyen de M. Hérault, et d’obtenir de celui-ci que non-seulement il empêche cet homme, mais aussi toute autre personne, de publier mon livre.

    Je vous conseille d’aller chez M. de Maisons et de lui exposer le cas. Il est très-bien avec le garde des sceaux, et peut aisément, en peu de jours, nous procurer une licence particulière.

    Adressez à l’avenir toutes vos lettres chez MM. Simon et Benezet, négociants, près la Bourse, rue Nicolas, à Londres.

    Soignez votre santé, prenez beaucoup d’exercice, tenez-vous le ventre libre et l’esprit tranquille, mangez peu, méprisez le monde, aimez-moi, et soyez heureux. Adieu.

    Mes compliments à tous ceux qui se rappellent de moi. Comment se porte Mme  de Bernières ? Je lui adresserai une grande édition par la prochaine occasion.

    La sotte critique qui sert de préface à une des éditions que je vous ai envoyées est écrite par un nommé Faget ; c’est un réfugié enthousiaste, qui ne sait ni anglais ni français. J’ai ouï dire que quelques-uns de vos impertinents beaux esprits de Paris me l’avaient attribuée.

  1. Peut-être à milord Hervey. — Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Caroline, femme de George IV, à qui la Henriade est dédiée.