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ANNÉE 1726.

connais que les malheurs de la vie, mais vous en connaissez les remèdes, et la différence de vous à moi est du malade au médecin.

Je vous supplie, mademoiselle, d’avoir la bonté de remplir jusqu’au bout le zèle charitable que vous daignez avoir pour moi en cette occasion douloureuse : ou engagez mon frère à me donner, sans différer un seul moment, des nouvelles de sa santé, ou donnez-m’en vous-même. Il ne vous reste plus que lui de toute la famille de mon père, que vous avez regardée comme la vôtre. Pour moi, il ne faut plus me compter. Ce n’est pas que je ne vive encore pour le respect et l’amitié que je vous dois : mais je suis mort pour tout le reste. Vous avez grand tort, permettez-moi de vous le dire avec tendresse et avec douleur, vous avez grand tort de soupçonner que je vous aie oubliée. J’ai bien fait des fautes dans le cours de ma vie. Les amertumes et les souffrances qui en ont marqué presque tous les jours ont été souvent mon ouvrage. Je sens le peu que je vaux ; mes faiblesses me font pitié et mes fautes me font horreur. Mais Dieu m’est témoin que j’aime la vertu, et qu’ainsi je vous suis tendrement attaché pour toute ma vie.

Adieu ; je vous embrasse, permettez-moi ce terme, avec tout le respect et toute la reconnaissance que je dois à Mlle  Bessières.



167. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

À Londres, 10 octobre.

Je n’ai reçu qu’hier, madame, votre lettre du 3 de septembre dernier. Les maux viennent bien vite, et les consolations bien tard. C’en est une pour moi très-touchante que votre souvenir. La profonde solitude où je suis retiré ne m’a pas permis de la recevoir plus tôt. Je viens à Londres pour un moment ; je profite de cet instant pour avoir le plaisir de vous écrire, et je m’en retourne sur-le-champ dans ma retraite.

Je vous souhaite, du fond de ma tanière, une vie heureuse et tranquille, des affaires en bon ordre, un petit nombre d’amis, de la santé, et un profond mépris pour ce qu’on appelle vanité. Je vous pardonne d’avoir été à l’Opéra avec le chevalier de Rohan pourvu que vous en ayez senti quelque confusion.

Réjouissez-vous le plus que vous pourrez à la campagne et à la ville. Souvenez-vous quelquefois de moi avec vos amis et mettez la constance dans l’amitié au nombre de vos vertus. Peut-être que ma destinée me rapprochera un jour de vous. Laissez--