Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/147

Cette page a été validée par deux contributeurs.
129
ANNÉE 1724.

nières noires ; que c’est ainsi que l’empereur est habillé, et que d’ailleurs on fait plus avec cent pistoles à Vienne qu’avec quatre cents à Paris. En un mot, je ne vous en parlerai plus ; j’ai fait mon devoir comme je le ferai toute ma vie avec mes amis. Ne songeons plus, mon pauvre Thieriot, qu’à fournir ensemble tranquillement notre carrière philosophique.

Mandez-moi comment va l’édition de l’abbé de Chaulieu, que vous préférez au secrétariat de l’ambassade de Vienne, et n’éloignez pas pourtant de votre esprit toutes les idées d’affaire étrangère au point de ne me pas faire de réponse sur le nom et la demeure du copiste qui a transcrit Mariamne, et qui ne refusera peut-être pas d’écrire pour M. le duc de Richelieu. Enfin, si l’amitié que vous avez pour moi, et que je mérite, est une des raisons qui vous font préférer Paris à Vienne, revenez donc au plus tôt retrouver votre ami. Engagez Mme de Bernières à revenir à la Saint-Martin ; vous retrouverez un nouveau chant[1] de Henri IV, que M. de Maisons trouve le plus beau de tous ; une Mariamne toute changée, et quelques autres ouvrages qui vous attendent. Ma santé ne me permet pas d’aller à la Rivière ; sans cela je serais assurément avec vous. Je vous gronderais bien sur l’ambassade de Vienne ; mais plus je vous verrais, plus je serais charmé dans le fond de mon cœur de n’être point éloigné d’un ami comme vous.



133. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Octobre.

Je suis bien charmé de toutes les marques d’amitié que vous me donnez dans votre lettre, mais nullement des raisons que vous avez apportées pour empêcher notre ami de faire la fortune la plus honnête où puisse prétendre un homme de lettres et un homme d’esprit. Je consentais à le perdre quelque temps pour lui assurer une fortune le reste de sa vie. Si je n’avais écouté que mon plaisir, je n’aurais songé qu’à retenir Thieriot avec nous ; mais l’amitié doit avoir des vues plus étendues, et je tiens que non-seulement il faut vivre avec nos amis, mais qu’il faut, autant qu’on le peut, les mettre en état de vivre heureux, même sans nous ; mais surtout il ne faut point les faire tomber dans des ridicules. C’est rendre un bien mauvais service à Thieriot que de le laisser imaginer un moment qu’il y ait du déshonneur à lui

  1. Formant aujourd’hui le VIe chant.