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ANNÉE 1724.

M. de Morville, qui a de l’amitié pour moi, peut faire quelque chose de vous. Le pis aller de tout cela serait de rester, après l’ambassade, avec M. de Richelieu, ou de revenir dans votre taudis, auprès du mien. D’ailleurs je compte vous aller trouver à Vienne l’automne prochaine ; ainsi, au lieu de vous perdre, je ne fais, en vous mettant dans cette place, que m’approcher davantage de vous. Faites vos réflexions sur ce que je vous écris, et soyez prêt à venir vous présenter à M. de Richelieu et à M. de. Morville, quand je vous le manderai. Si votre édition[1] est commencée, achevez-la au plus vite ; si elle ne l’est pas, ne la commencez point. Il vaut mieux songer à votre fortune qu’à tout le reste. Adieu ; je vous recommande vos intérêts : ayez-les à cœur autant que moi, et joignez l’étude de l’histoire d’Allemagne à celle de l’histoire universelle. Dites à Mme  de Bernières les choses les plus tendres de ma part. Dès que j’aurai fini le petit-lait, où je me suis mis, j’irai chez elle. Je fais plus de cas de son amitié que de celle de nos bégueules titrées de la cour, auxquelles je renonce de bon cœur pour jamais, par la faiblesse de mon estomac et par la force de ma raison.



129. — À MADAME LA PRÉSIDENTE DE BERNIÈRES.

Octobre

Vous allez probablement achever votre automne sans Thieriot et sans moi. Voilà comme une maudite destinée dérange les sociétés les plus heureuses. Ce n’est pas assez que je sois éloigné de vous, il faut encore que je vous enlève mon substitut. Il ne tiendrait qu’à vous de revenir à la Saint-Martin, mais vos vergers vous font aisément oublier une créature aussi chétive que moi ; et quand on a des arbres à planter, on ne se soucie guère d’un ami languissant.

Je suis très-fâché que vous vous accoutumiez à vous passer de moi ; je voudrais du moins être votre gazetier dans ce pays-ci, afin de ne vous être pas tout à fait inutile ; mais malheureusement j’ai renoncé au monde, comme vous avez renoncé à moi. Tout ce que je sais, c’est que Dufresny est mort[2], et que Mme  de Mimeure s’est fait couper le sein. Dufresny est mort comme un poltron, et a sacrifié à Dieu cinq ou six comédies nouvelles,

  1. Thieriot, paresseux et parasite, ne donna pas l’édition des Œuvres de Chaulieu, et il refusa la place de secrétaire d’ambassade du duc de Richelieu. (Cl.)
  2. Le 6 octobre 1724.