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ANNÉE 1723.

tels. Cela fait voir démonstrativement que tous ces charlatans, dont Paris abonde, et qui donnent le même remède (je ne dis pas pour toutes les maladies, mais toujours pour la même), sont des empoisonneurs qu’il faudrait punir.

J’entends faire toujours un raisonnement bien faux et bien funeste. Cet homme, dit-on, a guéri par une telle voie ; j’ai la même maladie que lui, donc il faut que je prenne le même remède. Combien de gens sont morts pour avoir raisonné ainsi ! On ne veut pas voir que les maux qui nous affligent sont aussi différents que les traits de nos visages ; et, comme dit le grand Corneille, car vous me permettrez de citer les poètes :

Quelquefois l’un se brise où l’autre s’est sauvé,
Et par où l’un périt un autre est conservé.

(Cinna, II, i.)


Mais c’est trop faire le médecin : je ressemble aux gens qui, ayant gagné un procès considérable par le secours d’un habile avocat, conservent encore pour quelque temps le langage du barreau.

Cependant, monsieur, ce qui me consolait le plus dans ma maladie, c’était l’intérêt que vous y preniez, c’était l’attention de mes amis, et les bontés inexprimables dont Mme [1] et M. de Maisons m’honoraient. Je jouissais d’ailleurs de la douceur d’avoir auprès de moi un ami, je veux dire un homme qu’il faut compter parmi le très-petit nombre d’hommes vertueux qui seuls connaissent l’amitié, dont le reste du monde ne connaît que le nom : c’est M. Thieriot, qui, sur le bruit de ma maladie, était venu en poste de quarante lieues pour me garder, et qui, depuis, ne m’a pas quitté un moment. J’étais le 15 absolument hors de danger, et je faisais des vers le 16, malgré la faiblesse extrême qui me dure encore, causée par le mal et par les remèdes.

J’attendais avec impatience le moment où je pourrais me dérober aux soins qu’on avait de moi à Maisons, et finir l’embarras que j’y causais. Plus on avait pour moi de bontés, plus je me hâtais de n’en pas abuser plus longtemps. Enfin je fus en état d’être transporté à Paris le 1er décembre. Voici, monsieur, un moment bien funeste. À peine suis-je à deux cents pas du château qu’une partie du plancher de la chambre où j’avais été

  1. Marie-Charlotte Roque de Varangeville, morte en 1727 ; sœur aînée de la maréchale de Villars, et mère de M. de Maisons. (Cl.)