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ANNÉE 1723.

traiter, dans un corps délicat et faible, une petite vérole déjà parvenue au second jour de l’éruption, et dont les suites n’avaient été prévenues que par deux saignées trop légères, sans aucun purgatif.

Il vint cependant, et me trouva avec une fièvre maligne. Il eut d’abord une fort mauvaise opinion de ma maladie : les domestiques qui étaient auprès de moi s’en aperçurent, et ne me la laissèrent pas ignorer. On m’annonça, dans le même temps, que le curé de Maisons, qui s’intéressait à ma santé, et qui ne craignait point la petite vérole, demandait s’il pouvait me voir sans m’incommoder : je le fis entrer aussitôt, je me confessai, et je fis mon testament, qui, comme vous croyez bien, ne fut pas long. Après cela j’attendis la mort avec assez de tranquillité, non toutefois sans regretter de n’avoir pas mis la dernière main à mon poëme et à Mariamne, ni sans être un peu fâché de quitter mes amis de si bonne heure. Cependant M. de Gervasi ne m’abandonnait pas d’un moment ; il étudiait en moi, avec attention, tous les mouvements de la nature ; il ne me donnait rien à prendre sans m’en dire la raison ; il me laissait entrevoir le danger, et il me montrait clairement le remède : ses raisonnements portaient la conviction et la confiance dans mon esprit, méthode bien nécessaire à un médecin auprès de son malade, puisque l’espérance de guérir est déjà la moitié de la guérison. Il fut obligé de me faire prendre huit fois l’émétique, et, au lieu des cordiaux qu’on donne ordinairement dans cette maladie, il me fit boire deux cents pintes de limonade. Cette conduite, qui vous semblera extraordinaire, était la seule qui pouvait me sauver la vie ; toute autre route me conduisait à une mort infaillible, et je suis persuadé que la plupart de ceux qui sont morts de cette redoutable maladie vivraient encore s’ils avaient été traités comme moi.

Le préjugé populaire abhorre dans la petite vérole la saignée et les médecines ; on ne veut que des cordiaux, on donne du vin au malade ; on lui fait même manger de petites soupes ; et l’erreur triomphe de ce que plusieurs personnes guérissent avec ce régime. On ne songe pas que les seules petites véroles que l’on traite ainsi avec succès sont celles qu’aucun accident funeste m’accompagne, et qui ne sont nullement dangereuses.

La petite vérole, par elle-même, dépouillée de toute circonstance étrangère, n’est qu’une dépuration du sang favorable à la nature, et qui, en nettoyant le corps de ce qu’il a d’impur, lui prépare une santé vigoureuse. Qu’une telle petite vérole soit traitée ou non avec des cordiaux, qu’on purge ou qu’on ne purge point, on en guérit sûrement.