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À une pareille raison il n’y avait pas a répliquer. Mlle de La Cochonnière, qui venait de jurer un amour éternel, pensa d’ailleurs que ce qui pouvait lui arriver de plus fâcheux, c’était d’avoir deux maris. Celui-ci ou celui-là, qu’importe après tout pour une fille de seize ans emprisonnée au château de la Cochonnière, sous les yeux d’une duègne qui raisonnait même devant le rôti? « Et pourtant, dit notre Agnès, il a de si beaux yeux et de si bons sentiments! Que va devenir le carrosse qui nous attend au bout du par de la Cochonnière? »

Comme elle disait ces mots, un autre carrosse entra bruyamment au château, éclairé par des torches et précédé par des pages de six pieds, portant des bouquets et des pistaches. C’était un beau spectacle. Le comte de Boursoufle avait voulu surprendre par un luxe nocturne le baron de La Cochonnière, et frapper un grand coup dans l’esprit de sa fiancée. Le baron s’avança avec solennité à la portière du carrosse. « Le voilà donc! dit-il d’une voix de tonnerre, en voyant l’habit mordoré et le chapeau à plume de son gendre. — Quel est le coquin qui parle si haut et ose m’éveiller? » dit le comte de Boursoufle sans daigner ouvrir les yeux.

Le baron rit beaucoup de la méprise, et décida que les gens de cour sont d’une exquise urbanité. « Un homme sans naissance et sans civilité serait venu ici comme le curé de la paroisse ou comme le bailli, en s’inclinant jusqu’à terre; mais, vive Dieu! le comte de Boursoufle a appris à vivre. » Pendant que le baron pensait si bien, le comte ordonnait à ses gens de le porter, sans le réveiller, dans le meilleur lit du château de la Cochonnière, et d’avertir le haut et puissant baron que, vers midi, il recevrait à son petit lever les vassaux de la Cochonnière[1] .

  1. L’authenticité de ce morceau n’est pas incontestable.