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assez de religion. On l’envoya à l’Académie des inscriptions, sous prétexte qu’il avait découvert pourquoi Jeanne d’Arc s’appelait la Pucelle d’Orléans, mais surtout parce qu’il avait rédigé l’épitaphe «l’un chien savant. En conséquence, il fut dans les feuilles proclamé lui-même un savant digne de décider enfin cette éternelle question : Le paradis a-t-il une porte qui donne dans l’enfer, ou l’enfer a-t-il une porte qui donne dans le paradis?

J’eus l’honneur de rencontrer vers ce temps-là le comte de Boursoufle, quand il vint demander la main de M lle de La Cochonnière. Ce fut un événement dans tout le bailliage, car il sentait l’ambre à dix lieues à la ronde. Pendant toute la saison, on ne parla que de son carrosse, de son perruquier, de son air magnifique. On ne parla pas de son esprit. « Quel honneur! disait le baron de La Cochonnière; comme ma fille va être heureuse ! 71 va à la cour et me parle sans cesse de ses amis : Richelieu et Épictéte. » Et un jour le bonhomme de La Cochonnière lui demanda si M. Épictète était aussi bon gentilhomme que le duc de Richelieu.

Mais Boursoufle avait compté sans son frère, à qui il avait donné pour sa part d’héritage le titre de chevalier. Le jeune Boursoufle ne se contentait pas des générosités de l’homme de cour ; il dit qu’il prendrait son bien où il le trouverait, et imagina d’enlever Mlle  de La Cochonnière au nez de monsieur son frère aîné.

Mlle  de La Cochonnière, élevée dans la crainte de Dieu et des hommes, ne se fit pas prier deux fois. Le chevalier était bien fait et avait des yeux vifs. C’était dans la saison des amoureux. Elle se jeta dans les bras du ravisseur, et sauta avec lui les fossés du château. Mais M. de La Cochonnière veillait : « Où allez-vous, mademoiselle ? — Je ne sais pas, dit-elle en pleurant, toute cachée dans sa coiffe. — Vous ne savez pas! Sachez, mademoiselle, qu’un La Cochonnière ne dit jamais : Je ne sais pas. — Papa, monsieur le chevalier m’avait dit que nous irions en pèlerinage à Sainte-Cunégonde. — A minuit, mademoiselle! Et vous, monsieur, n’avez-vous pas de honte de suborner l’innocence! — Non, monsieur le baron. Mon frère, sous prétexte qu’il est venu au monde un an avant moi, m’a pris ma fortune... — Et vous lui prenez sa femme ! Holà ! mes gens, qu’on arrête ce malfaiteur et qu’on l’emprisonne dans la grande tour.— Mais, papa de La Cochonnière, dit la fille, si ma destinée est d’être à M. le chevalier de Boursoufle... — Mademoiselle, il n’y a qu’un Boursoufle, c’est celui qui a eu l’esprit de venir au monde le premier. »