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REMARQUES
SUR LES
DISCOURS DE CORNEILLE
IMPRIMÉS A LA SUITE DE SON THÉATRE.

PREMIER DISCOURS.
DU POËME DRAMATIQUE.

Il faut observer l’unité d’action, de lieu, et de jour ; personne n’en doute.

On en doutait tellement du temps de Corneille que ni les Espagnols ni les Anglais ne connurent cette règle. Les Italiens seuls l’observèrent. La Sophonisbe de Mairet fut la première pièce en France où ces trois unités parurent. Lamotte, homme de beaucoup d’esprit et de talent, mais homme à paradoxes, a écrit de nos jours contre ces trois unités. Mais cette hérésie en littérature n’a pas fait fortune.

On en est venu jusqu’à établir une maxime très-fausse : qu’il faut que le sujet d’une tragédie soit vraisemblable.

Cette maxime, au contraire, est très-vraie en quelque sens qu’on l’entende. Boileau dit avec raison, dans son Art poétique (chant III, vers 47-50) :

Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable.
Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas :
L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.

Il n’est point vraisemblable que Médée tue ses enfants, que Clytemnestre assassine son mari, qu’Oreste poignarde sa mère ; mais l’histoire le dit, etc.