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ACTE II, SCÈNE I. 329

On ne peut guère traiter ainsi un principal ministre d'Étal : toutes les expressions du comte d'Essex sont peu mesurées, et ne sont pas assez nobles.

��ACTE DEUXIEME.

SCÈNE I.

Vers 7. Il a trop de ma bouche, il a trop de mes yeux

Appris qu'il est, l'ingrat, ce que j'aime le mieux.

Je n'examine point si ces vers sont mauvais. Une reine telle qu'Elisabeth presque décrépite, qui parle du poison qui dévore son cœur, et de ce que ses yeux et sa bouche ont dit à son ingrat, est un personnage comique. C'est là peut-être un des plus grands exemples du défaut qu'on a si souvent reproché à notre nation, de changer la tragédie en roman amoureux.

S'il s'agissait d'une jeune reine, ce roman serait tolérable; et on ne peut attribuer le succès de cette pièce qu'à l'ignorance où était le parterre de l'âge d'Elisabeth. Tout ce qu'elle pouvait rai- sonnablement dire, c'est qu'autrefois elle avait eu de l'inclina- tion pour Essex; mais alors il n'y aurait eu rien d'intéressant. L'intérêt ne peut donc subsister qu'aux dépens de la vraisem- blance. Qu'en doit-on conclure? Que l'aventure du comte d'Essex est un sujet mal choisi.

Vers 15. Au crime, pour lui plaire, il s'ose abandonner, Et n'en veut à mes jours que pour la couronner.

Quelle était donc cette jeune Suffolk que ce comte d'Essex vou- lait ainsi couronner? Il n'y en avait point alors; et comment le comte d'Essex aurait-il donné la couronne d'Angleterre? Il fallait au moins expliquer une chose si peu vraisemblable, et lui don- ner quelque couleur. Voilà une jeune Suffolk tombée des nues, qu'Essex veut faire reine d'Angleterre sans qu'on sache pourquoi, ni par quels moyens. Une chose si importante ne devait pas être dite en passant. La reine se plaint qu'on en veut à ses jours: cela est bien plus grave; et elle n'y insiste pas, elle n'en parle que comme d'un petit incident : cela n'est pas dans la nature. Mais telle est la force du préjugé que le peuple aima cette tragédie, sans considérer autre chose que l'amour d'une reine et l'orgueil d'un héros infortuné, quoique Elisabeth n'eût point été en effet amoureuse, et qu'Essex n'eût pas été un héros du premier ordre.

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