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REMARQUES SUR PULCHÉRIE. 893

Vous aimez, vous plaisez; c'est tout auprès des femmes. C'est par là qu'on surprend, qu'on enlève leurs âmes.

��Aspar vous aura vue, et son âme est chagrine... — Il m'a vue, et j'ai vu quel chagrin le domine. Mais il n'a pas laissé de me faire juger Du choix que fait mon cœur quel sera le danger. Il part de bons avis quelquefois de la haine. On peut tirer du fruit de tout ce qui fait peino. Et des plus grands desseins qui veut venir à bout Prête l'oreille à tous, et fait profit de tout.

C'est ainsi que la pièce est écrite. La matière y est digne de la forme. C'est un mariage ridicule traversé ridiculement, et con- clu de même.

L'intrigue de la pièce, le style et le mauvais succès, détermi- nèrent Corneille à ne donner à cet ouvrage que le titre de comédie héroïque; mais, comme il n'y a ni comique ni héroïsme dans la pièce, il serait difficile de lui donner un nom qui lui convint.

Il semble pourtant que, si Corneille avait voulu choisir des sujets plus dignes du théâtre tragique, il les aurait peut-être traités convenablement ; il aurait pu rappeler son génie, qui fuyait de lui. On en peut juger par le début de Pulchérie :

Je vous aime, Léon, et n'en fais point mystère; Des feux tels que les miens n'ont rien qu'il faille taire. Je vous aime, et non pas de cette folle ardeur Que les yeux éblouis font maîtresse du cœur; Non d'un amour conçu par les sens en tumulte, A qui l'âme applaudit sans qu'elle se consulte, Et qui, ne concevant que d'aveugles désirs, Languit dans les faveurs, et meurt dans les plaisirs.

Ces premiers vers en effet sont imposants ; ils sont bien faits ; il n'y a pas une faute contre la langue, et ils prouvent que Cor- neille aurait pu écrire encore avec force et avec pureté s'il avait voulu travailler davantage ses ouvrages. Cependant les connais- seurs d'un goût exercé sentiront bien que ce début annonce une pièce froide. Si Pulchérie aime ainsi, son amour ne doit guère toucher. On s'aperçoit encore que c'est le poète qui parle, et non la princesse. C'est un défaut dans lequel Corneille tombe tou- jours. Quelle princesse débutera jamais par dire que l'amour languit dans les faveurs, et meurt dans les plaisirs? Quelle idée ces vers ne donnent-ils pas d'une volupté que Pulchérie ne doit pas

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