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ACTE I, SCÈNE I. 183

trop à des lieux communs d'un rhéteur qui ne connaîl pas l<- monde. Non-seulement de telles maximes ne doivent jamais être débitées, mais jamais personne ne les a prononcées, même en faisant un crime, ou en le conseillant. C'est manquer aux lois de l'honnêteté publique et aux règles de l'art, c'est ne pas connaître les hommes, que de proposer le crime comme crime. Voyez avec quelle adresse le scélérat iNarcisse presse Néron de faire empoi- sonner Britannicus ; il se garde bien de révolter Néron par l'é- talage odieux de ces horribles lieux communs, qu'un empereur doit être empoisonneur et parricide dès qu'il y va de son intérêt. Il échauffe la colère de Néron par degrés, et le dispose petit à petit à se défaire de son frère sans que Néron s'aperçoive même de l'adresse de Narcisse ; et si ce Narcisse avait un grand intérêt à la mort de Britannicus, la scène en serait incomparablement meilleure. Voyez encore comme Acomat, dans la tragédie de Bajazct, s'exprime, en ne conseillant qu'un simple manquement de parole à une femme ambitieuse et criminelle :

Et d'un trône si saint la moitié n'est fondée Que sur la foi promise et rarement gardée. Je m'emporte, seigneur 1 .

Il corrige la dureté de cette maxime par ce mot si naturel et si adroit, je m'emporte.

Le reste de cette scène est beau et bien écrit. On ne peut, ce me semble, y reprendre qu'une seule chose, c'est qu'on ne sait point que c'est Perpenna qui parle. Le spectateur ne peutle devi- ner. Ce défaut vient en partie de la mauvaise habitude où nous avons toujours été d'appeler nos personnages de tragédie sei- gneurs. C'est un nom que les Bomains ne se donnèrent jamais. Les autres nations sont en cela plus sages que nous. Shakespeare et Addison appellent César, Brutus, Caton, par leurs noms pro- pres.

Vers 27 Sylla, ni Marius,

N'ont jamais épargné le sang de leurs vaincus.

On ne dit point mon vaincu, comme on dit mon esclave, mon ennemi.

Vers 3 1 . Tour à tour le carnage et les proscriptions Ont sacrifié Rome à leurs dissensions.

Le carnage qui a sacrifié Rome aux dissensions. Quelle incorrec- tion! quelle impropriété! Et que ce défaut revient souvent !

1. Bajazet, acte II, scène m.

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