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ACTE I, SCÈNE I. 7

commune et négligée. Le milieu entre l’ampoulé et le familier esl difficile à tenir.

Vers 51. Mais avant qu’à ce conte il se laisse emporter, Il vous est trop aisé de le faire avorter.

On ne se laisse point emporter a un conte; on fait avorter des desseins, et non pas des contes.

Vers 53. Quand vous fîtes périr Maurice et sa famille,

Il vous en plut, seigneur, réserver une fille

Cela est du style d’affaires. Il plut à Votre Majesté, donner tel ordre; il n’y a pas là de faute contre la langue, mais il y en a contre le tragique.

Vers 55. Et résoudre dès lors qu’elle auroit pour époux Ce prince destiné pour régner après vous. Le peuple en sa personne aime encore et révère, etc.

Cette personne se rapporte à ce prince; et c’est de cette fille réservée, c’est de Pulchérie, que Crispe veut parler.

Vers 65. Et n’eût été Léonce en la dernière çuerre

Ces expressions sont bannies aujourd’hui, même du style familier.

Vers 66. Ce dessein avec lui seroit tombé par terre.

On a déjà repris ailleurs[1] ces façons de parler vicieuses. Toute métaphore qui ne forme point une image vraie et sensible est mauvaise ; c’est une règle qui ne souffre point d’exception : or quel peintre pourrait représenter une idée qui tombe par terre [2]?

Vers 68. Martian demeuroit ou mort ou prisonnier.

On ne peut dire qu’un homme serait demeuré mort si on ne l’avait secouru. Ces mots, demeurer mort, signifient qu’il était mort en effet. On peut bien dire qu’on demeurerait estropié, parce qu’un estropié peut guérir ; qu’on demeurerait prisonnier, parce qu’un prisonnier peut être délivré ; mais non pas qu’on demeurerait mort, parce qu’un mort ne ressuscite pas.

  1. Remarques sur Polyeucte, acte IV, scène II.
  2. Palissot, dans ses Commentaires sur les Commentaires de Voltaire, ne revient pas d’étonnement qu’une idée aussi bizarre, aussi destructive de toute poésie, ait pu se former dans la tête d’un poëte. (G. A.)