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devient l’ennemi d’une secte, il est un monstre chez cette secte. Dioclétien et le césar Galerius, son gendre, ainsi que l’autre césar Maximien-Hercule, son ami, ordonnèrent la démolition de l’église de Nicomédie. L’édit en fut affiché. Un chrétien eut la témérité de déchirer l’édit, et de le fouler aux pieds. Il y a bien plus : le feu prit au palais de Galérius quelques jours après. On crut les chrétiens coupables de cet incendie. Alors l’exercice public de leur religion leur fut défendu. Aussitôt le feu prit au palais de Dioclétien. On redoubla alors la sévérité. Il leur fut ordonné d’apporter aux juges tous leurs livres. Plusieurs réfractaires furent punis, et même du dernier supplice. C’est cette fameuse persécution qu’on a exagérée de siècle en siècle jusqu’aux excès les plus incroyables, et jusqu’au plus grand ridicule[1]. C’est à ce temps qu’on rapporte l’histoire d’un histrion nommé Génestus, qui jouait dans une farce devant Dioclétien. Il faisait le rôle d’un malade. « Je suis enflé, s’écriait-il. — Veux-tu que je te rabote ? lui disait un acteur. — Non, je veux qu’on me baptise. — Et pourquoi, mon ami ? — C’est que le baptême guérit de tout. » On le baptise incontinent sur le théâtre. La grâce du sacrement opère. Il devient chrétien en un clin d’oeil, et le déclare à l’empereur, qui de sa loge le fait pendre sans différer.

On trouve dans ce même martyrologe l’histoire des sept belles pucelles de soixante-dix à quatre-vingts ans, et du saint cabaretier dont nous avons déjà parlé[2]. On y trouve cent autres contes de la même force, et la plupart écrits plus de cinq cents ans après le règne de Dioclétien. Qui croirait qu’on a mis dans ce catalogue le martyre d’une fille de joie, nommée sainte Afre, qui exerçait son métier dans Augsbourg ?

On doit rougir de parler encore du miracle et du martyre d’une légion thébaine ou thébéenne, composée de six mille sept cents soldats tous chrétiens, exécutés à mort dans une gorge de montagnes qui ne peut pas contenir trois cents hommes, et cela dans l’année 287, temps où il n’y avait point de persécution, et où Dioclétien favorisait ouvertement le christianisme. C’est Grégoire de Tours qui raconte cette belle histoire ; il la tient d’un Euchèrius mort en 454 ; et il y fait mention d’un roi de Bourgogne mort en 523.

Tous ces contes furent rédigés et augmentés par un moine du xiie siècle ; et Il y paraît bien par l’uniformité constante du style.

  1. Voyez tome XVIII.
  2. Ci-dessus, page 81; et tome XXV, page 57.