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et par la protection même des empereurs. Il est constant, et tous les auteurs l’avouent, que Dioclétien favorisa les chrétiens ouvertement pendant près de vingt années. Il leur ouvrit son palais ; ses principaux officiers, Gorgonius, Dorothéos, Migdon, Mardon, Pétra, étaient chrétiens. Enfin il épousa une chrétienne nommée Prisca. Il ne lui manquait plus que d’être chrétien lui-même. Mais on prétend que Constance le Pâle, nommé par lui césar, était de cette religion. Les chrétiens, sous ce règne, bâtirent plusieurs églises magnifiques, et surtout une à Nicomédie, qui était plus élevée que le palais même du prince. C’est sur quoi on ne peut trop s’indigner contre ceux qui ont falsifié l’histoire et insulté à la vérité, au point de faire une ère des martyrs commençant à l’avènement de Dioclétien à l’empire.

Avant l’époque où les chrétiens élevèrent ces belles et riches églises, ils disaient qu’ils ne voulaient jamais avoir de temples. C’est un plaisir de voir quel mépris les Justin, les Tertullien, les Minucius Félix, affectaient de montrer pour les temples ; avec quelle horreur ils regardaient les cierges, l’encens, l’eau lustrale ou bénite, les ornements, les images, véritables œuvres du démon. C’était le renard qui trouvait les raisins trop verts ; mais dès qu’ils purent en manger, ils s’en gorgèrent.

On ne sait pas précisément quel fut l’objet de la querelle en 302, entre les domestiques de César Galérius, gendre de Dioclétien, et les chrétiens qui demeuraient dans l’enceinte du temple de Nicomédie ; mais Galérius se sentit si vivement outragé que, l’an 303 de notre ère, il demanda à Dioclétien la démolition de cette église. Il fallait que l’injure fût bien atroce, puisque l’impératrice Prisca, qui était chrétienne, poussa son indignation jusqu’à renoncer entièrement à cette secte. Cependant Dioclétien ne se détermina point encore, et, après avoir assemblé plusieurs conseils, il ne céda qu’aux instances réitérées de Galérius.

L’empereur passait pour un homme très sage ; on admirait sa clémence autant que sa valeur. Les lois qui nous restent de lui dans le Code sont des témoignages éternels de sa sagesse et de son humanité. C’est lui qui donna la cassation des contrats dans lesquels une partie est lésée d’outre moitié ; c’est lui qui ordonna que les biens des mineurs portassent un intérêt légal ; c’est lui qui établit des peines contre les usuriers et contre les délateurs. Enfin on l’appelait le père du siècle d’or[1] ; mais dès qu’un prince

  1. Voyez les Césars de Julien, grande édition avec médailles, page 113. (Note de Voltaire.)