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cules. Je les ai entendus, dans mes voyages, chanter à plein gosier :


Solvet saeclum in favilla,
Teste David cum sibylla.

C’est ainsi que j’ai vu le peuple même à Lorette rire de la fable de cette maison que le détestable pape Boniface VIII dit avoir été transportée, sous son pontificat, de Jérusalem à la Marche d’Ancône par les airs. Et cependant il n’y a point de vieille femme qui, dès qu’elle est enrhumée, ne prie Notre-Dame de Lorette, et ne mette quelques oboles dans son tronc pour augmenter le trésor de cette madone, qui est certainement plus riche qu’aucun roi de la terre, et qui est aussi plus avare, car il ne sort jamais un schelling de son échiquier.

Il en est de même du sang de San Gennaro, qui se liquéfie tous les ans à jour nommé dans Naples[1]. Il en est de même de la sainte ampoule en France. Il faut de nouvelles révolutions dans les esprits, il faut un nouvel enthousiasme pour détruire l’enthousiasme ancien, sans quoi l’erreur subsiste, reconnue et triomphante.


Chapitre XIII. Des progrès de l’association chrétienne. Raisons de ces progrès.

Il faut savoir maintenant par quel enthousiasme, par quel artifice, par quelle persévérance, les chrétiens parvinrent à se faire, pendant trois cents ans, un si prodigieux parti dans l’empire romain que Constantin fut enfin obligé, pour régner, de se mettre à la tête de cette religion, dont il n’était pourtant pas, n’ayant été baptisé qu’à l’heure de la mort, heure où l’esprit n’est jamais libre. Il y a plusieurs causes évidentes de ce succès de la religion nouvelle.

Premièrement, les conducteurs du troupeau naissant le flattaient par l’idée de cette liberté naturelle que tout le monde chérit, et dont les plus vils des hommes sont idolâtres. Vous êtes les élus de Dieu, disaient-ils, vous ne servirez que Dieu, vous ne vous avilirez pas jusqu’à plaider devant les tribunaux romains ; nous qui sommes vos frères, nous jugerons tous vos différends. Cela est si vrai qu’il y a une lettre de saint Paul à ses demi-Juifs

  1. Voyez la note, tome XIII, page 95.