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des quatre Évangiles reçus[1], il suffira de se souvenir qu’il fait ordonner par Auguste un dénombrement de l’univers entier au temps des couches de Marie, et qu’il fait rédiger une partie de ce dénombrement en Judée par le gouverneur Cirénius, qui ne fut gouverneur que dix ans après.

Une si énorme bévue aurait ouvert les yeux des chrétiens mêmes, si l’ignorance ne les avait pas couverts d’écailles. Mais quel chrétien pouvait savoir alors que ce n’était pas Cirénius, mais Varus, qui gouvernait la Judée ? Aujourd’hui même y a-t-il beaucoup de lecteurs qui en soient informés ? Où sont les savants qui se donnent la peine d’examiner la chronologie, les anciens monuments, les médailles ? Cinq ou six, tout au plus qui sont obligés de se taire devant cent mille prêtres payés pour tromper, et dont la plupart sont trompés eux-mêmes.

Avouons-le hardiment, nous qui ne sommes point prêtres, et qui ne les craignons pas, le berceau de l’Église naissante n’est entouré que d’impostures. C’est une succession non interrompue de livres absurdes sous des noms supposés, depuis la lettre d’un petit toparque d’Édesse à Jésus-Christ, et depuis la lettre de la sainte Vierge à saint Ignace d’Antioche, jusqu’à la donation de Constantin au pape Sylvestre. C’est un tissu de miracles extravagants, depuis saint Jean, qui se remuait toujours dans sa fosse, jusqu’aux miracles opérés par notre roi Jacques[2] lorsque nous l’eûmes chassé. C’est une foule de martyrs qui ne tiendraient pas dans le Pandemonium de Milton, quand ils ne seraient pas plus gros que des mouches. Je ne prétends pas essuyer et donner le mortel ennui d’étaler le vaste tableau de toutes ces turpitudes. Je renvoie à notre Middleton, qui a prouvé, quoique avec trop de retenue, la fausseté des miracles ; je renvoie à notre Dodwell, qui a démontré la paucité des martyrs.

On demande comment la religion chrétienne a pu s’établir par ces mêmes fraudes absurdes qui devaient la perdre. Je réponds que cette absurdité était très propre à subjuguer le peuple. On n’allait pas discuter, dans un comité nommé par le sénat romain, si un ange était venu avertir une pauvre Juive de village que le Saint-Esprit viendrait lui faire un enfant ; si Énoch, septième homme après Adam, a écrit ou non que les anges avaient couché avec les filles des hommes ; et si saint Jude Thaddée a

  1. C’est l’évangile de saint Jean qu’on regarde aujourd’hui comme le dernier en date des évangiles reçus. (M.)
  2. Jacques II, à Saint-Germain, avait la prétention de guérir les écrouelles, en touchant les malades; voyez tome XIV, page 300.