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de toute espèce, des géomètres, des sophistes, des métaphysiciens, et d’autres faiseurs de romans ; une douzaine de sectes différentes, dont les unes passent, et les autres restent, mais dans toutes les sectes et dans toutes les conditions un amour désordonné de l’argent : telle est la capitale de nos trois royaumes, et l’empereur Adrien nous apprend, par sa lettre au consul Servianus, que telle était Alexandrie. Voici cette lettre fameuse, que Vopiscus nous a conservée :

« J’ai vu cette Égypte que vous me vantiez tant, mon cher Servianus ; je la sais tout entière par cœur. Cette nation est inconstante, incertaine ; elle vole au changement. Les adorateurs de Sérapis se font chrétiens ; ceux qui sont à la tête de la religion du Christ se font dévots à Sérapis. Il n’y a point d’archirabbin juif, point de samaritain, point de prêtre chrétien, qui ne soit astrologue, ou devin, ou m...[1]. Quand le patriarche grec vient en Égypte, les uns s’empressent auprès de lui pour lui faire adorer Sérapis ; les autres, le Christ. Ils sont tous très séditieux, très vains, très querelleurs. La ville est commerçante, opulente, peuplée ; personne n’y est oisif... L’argent est un dieu que les chrétiens, les juifs, et tous les hommes, servent également. »

Quand un disciple de Jésu, nommé Marc, soit l’évangéliste, soit un autre, vint tâcher d’établir sa secte naissante parmi les Juifs d’Alexandrie, ennemis de ceux de Jérusalem, les philosophes ne parlaient que du logos, du verbe de Platon. Dieu avait formé le monde par son verbe ; ce verbe faisait tout. Le Juif Philon, né du vivant de Jésu, était un grand platonicien ; il dit, dans ses opuscules, que Dieu se maria au verbe, et que le monde naquit de ce mariage. C’est un peu s’éloigner de Platon que de donner pour femme à Dieu un être que ce philosophe lui donnait pour fils.

D’un autre côté, on avait souvent, chez les Grecs et chez les nations orientales, donné le nom de fils des dieux aux hommes justes, et même Jésu s’était dit fils de Dieu pour exprimer qu’il était innocent, par opposition au mot fils de Bélial qui signifiait un coupable ; d’un autre côté encore, ses disciples assuraient qu’il était envoyé de Dieu. Il devint bientôt fils, de simple envoyé qu’il était : or le fils de Dieu était son verbe chez les platoniciens ; ainsi donc Jésu devint verbe.

Tous les Pères de l’Église chrétienne ont cru en effet lire un

  1. Voyez le texte de cette lettre au mot Alexandrie du Dictionnaire philosophique, tome XVII, page 114.