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jambes, et dans le fondement, tous ceux qui désobéiront[1]  ; mais d’âmes, de punitions dans les enfers, de récompenses dans le ciel, d’immortalité, de résurrection, il n’en est dit un seul mot ni dans leurs lois, ni chez leurs prophètes.

Quelques écrivains, plus zélés qu’instruits, ont prétendu que si le Lévitique et le Deutéronome ne parlent jamais en effet de l’immortalité de l’âme, et de récompenses ou de châtiments après la mort, il y a pourtant des passages, dans d’autres livres du canon juif, qui pourraient faire soupçonner que quelques Juifs connaissaient l’immortalité de l’âme. Ils allèguent et ils corrompent ce verset de Job : « Je crois que mon protecteur vit, et que dans quelques jours je me relèverai de terre : ma peau, tombée en lambeaux, se consolidera. Tremblez alors, craignez la vengeance de mon épée. »

Ils se sont imaginé que ces mots : « Je ne relèverai, » signifiaient « je ressusciterai après ma mort. » Mais alors comment ceux auxquels Job répond auraient-ils à craindre son épée ? Quel rapport entre la gale de Job et l’immortalité de l’âme ?

Une des plus lourdes bévues des commentateurs est de n’avoir pas songé que ce Job n’était point Juif, qu’il était Arabe ; et qu’il n’y a pas un mot dans ce drame antique de Job qui ait la moindre connexité avec les lois de la nation judaïque.

D’autres, abusant des fautes innombrables de la traduction latine appelée Vulgate, trouvent l’immortalité de l’âme et l’enfer des Grecs dans ces paroles que Jacob prononce[2] en déplorant la perte de son fils Joseph, que les patriarches ses frères avaient vendu comme esclave à des marchands arabes, et qu’ils faisaient passer pour mort : Je mourrai de douleur, je descendrai avec mon fils dans la fosse. La Vulgate a traduit sheol, la fosse, par le mot enfer, parce que la fosse signifie souterrain. Mais quelle sottise de supposer que Jacob ait dit : « Je descendrai en enfer, je serai damné, parce que mes enfants m’ont dit que mon fils Joseph a été mangé par des bêtes sauvages ! » C’est ainsi qu’on a corrompu presque tous les anciens livres par des équivoques absurdes. C’est ainsi qu’on s’est servi de ces équivoques pour tromper les hommes.

Certainement le crime des enfants de Jacob et la douleur du père n’ont rien de commun avec l’immortalité de l’âme. Tous les théologiens sensés, tous les bons critiques en conviennent ; tous

  1. Voyez le Deutéronome. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez la Genèse. (Id.)