Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/490

Cette page n’a pas encore été corrigée

480 EXAMEN DE l'OMl'KE.

Voilà le véritable style de la tragédie; il doit être toujours d'une simplicité noble, qui convient aux personnes du premier rang; jamais rien d'ampoulé ni de bas; jamais d'afTcctation ni d'obscurité. La pureté du langage doit être rigoureusement ob- servée; tous les vers doivent être harmonieux, sans que cette harmonie dérobe rien à la force des sentiments. 11 ne faut pas que les vers marchent toujours de deux en deux ; mais que tantôt une pensée soit exprimée on un vers, tantôt en deux ou trois, quelquefois dans un seul hémistiche ; on peut étendre une image dans une phrase de cinq ou six vers, ensuite en renfermer une autre dans un ou deux; il faut souvent finir un sens par une rime, et commencer un autre sens par la rime correspondante.

Ce sont toutes ces règles, très-difficiles à observer, qui donnent aux vers la grAce, l'énergie, l'harmonie, dont la prose ne peut jamais approcher. C'est ce qui fait qu'on retient par cœur, mémo malgré soi, les beaux vers. Il y en a beaucoup de cette espèce dans les belles tragédies de Corneille. Le lecteur judicieux fait aisément la comparaison de ces vers harmonieux, naturels et énergiques, avec ceux qui ont les défauts contraires, et c'est par cette comparaison que le goût des jeunes gens pourra se former aisément. Ce goût juste est bien plus rare qu'on ne pense ; peu de personnes savent bien leur langue; peu distinguent au théâtre l'enflure de la dignité ; peu démêlent les convenances. On a applaudi pendant plusieurs années à des pensées fausses et révoltantes. On battait des mains lorsque Bai"on prononçait ce vers :

il est, comme à la vie, un terme à la \crtu'.

On s'est récrié quelquefois d'admiration à des maximes non moins fausses. Ce qu'il y a d'étrange, c'est qu'un peuple qui a pour modèle de style les pièces de Racine ait pu applaudir long- temps des ouvrages où la langue et la raison sont également bles- sées d'un bout à l'autre.

��1. Vers de Tiridate, tragédie de Campistron, jouée, pour la première fois, on 1091, et reprise avec grand succès en 1727.

�� �