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étrivières, si je ne le salue. Cet habit, c’est une force ; il n’en est pas de même d’un cheval bien enharnaché à l’égard d’un autre[1]. P.

Bas, et indigne de Pascal. V.

CV. — Tout instruit l’homme de sa condition ; mais il faut bien entendre : car il n’est pas vrai que Dieu se découvre en tout, et il n’est pas vrai qu’il se cache en tout[2] ; mais il est vrai tout ensemble qu’il se cache à ceux qui le tentent, et qu’il se découvre à ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu et capables de Dieu ; indignes par leur corruption, capables par leur première nature.

S’il n’avait jamais rien paru de Dieu, cette privation éternelle serait équivoque, et pourrait aussi bien se rapporter à l’absence de toute Divinité qu’à l’indignité où seraient les hommes de le connaître ; mais de ce qu’il parait quelquefois et non toujours, cela ôte l’équivoque. S’il paraît une fois, il est toujours ; et ainsi on ne peut en conclure autre chose sinon qu’il y a un Dieu, et que les hommes en sont indignes.

S’il n’y avait point d’obscurité, l’homme ne sentirait pas sa corruption. S’il n’y avait point de lumière, l’homme n’espérerait point de remède. Ainsi il est non-seulement juste, mais utile pour nous, que Dieu soit caché en partie et découvert en partie, puisqu’il est également dangereux à l’homme de connaitre Dieu sans connaitre sa misère, et de connaitre sa misère sans connaître Dieu.

Il n’y a rien sur la terre qui ne montre ou la misère de l’homme, ou la miséricorde de Dieu ; ou l’impuissance de l’homme sans Dieu, ou la puissance de l’homme avec Dieu.

Tout l’univers apprend à l’homme ou qu’il est corrompu, ou qu’il est racheté. Tout lui apprend sa grandeur ou sa misère. P.

Ces articles me semblent de grands sophismes. Pourquoi imaginer toujours que Dieu, en faisant l’homme, s’est appliqué à exprimer grandeur et misère ? Quelle pitié ! Scilicet is superis labor est[3] ! V.

CVI. — S’il ne fallait rien faire que pour le certain, on ne devrait rien faire pour la religion, car elle n’est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l’incertain, les voyages sur mer, les batailles ! Je dis donc qu’il ne faudrait rien faire du tout, car rien n’est certain ; et il y a plus de certitude à la religion, qu’a l’espérance que nous voyions le jour de demain. Car il n’est pas certain que nous voyions demain ; mais il est certainement possible que nous ne le voyions pas. On n’en peut pas dire autant de la religion. Il n’est pas certain qu’elle soit ; mais qui osera dire qu’il est certainement

  1. Dans le texte manuscrit, il y a au contraire : C’est bien de même qu’un cheval bien en harnaché à l’égard d’un autre.
  2. Texte exact : Car il n’est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n’est pas vrai que tout cache Dieu.
  3. Virgile, Æn., IV, 379.