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Il faut éviter cette cacophonie^ en vers, et même dans la prose soutenue.

Vers 29. Mais les dieux permettront à mes ressentiments De te sacrifier aux yeux des deux amants.

On se soucie fort peu que cet esclave Euphorbe soit mis en croix ou non. Cet acte est un peu défectueux dans toutes ses parties : la difficulté d’en faire cinq est si grande, l’art était alors si peu connu, qu’il serait injuste de condamner Corneille. Cet acte eût été admirable partout ailleurs dans son temps ; mais nous ne recherchons pas si une chose était bonne autrefois : nous recherchons si elle est bonne pour tous les temps.

Vers 31. Et je m’ose assurer qu’en dépit de mon crime Mon sang leur servira d’assez pure victime.

On ne peut pas dire en dépit de mon crime, comme on dit malgré mon crime, quel qu’ait été mon crime, parce qu’un crime n’a point de dépit. On dit bien en dcpit de ma haine, de mon amour, parce que les passions se personnifient.

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I.

Vers ’1.

Prends un siège, Cinna, prends ; et sur toute chose
Observe exactement la loi que je t’impose.

Sede, inquit, Cinna; hoc primum a tepeto ne loquenlem interpelles. Toute cette scène est de Sénèque le Philosophe. Par quel prodige de l’art Corneille a-t-il surpassé Sénèque, comme dans les Horaces il a été plus nerveux que Tite-Live ? C’est là le privilège de la belle poésie ; et c’est un de ces exemples qui condamnent bien fortement ces auteurs, d’Aubignac et La Motte, qui ont voulu faire des tragédies en prose : d’Aubignac, homme sans talents, qui, pour avoir mal étudié le théâtre, croyait pouvoir faire une bonne tragédie dans la prose la plus plate; La Motte, homme d’esprit et de génie, qui, ayant trop négligé le style et la langue

I. C’est depuis 1664 que Corneille a mis:

Jusqu’à ce que ta fourbe ait souillé ma vertu.

2. Sur quatre vers de cette scène, voyez tome XIX, page 47.