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ACTE IV, SCÈNE V.


Et Virgile lui-même a pris ce vers d’Homère mot à mot. Quand on imite de tels vers qui sont devenus proverbes, il faut tâcher que nos imitations deviennent aussi proverbes dans notre langue. On n’y peut réussir que par des mots harmonieux, aisés à retenir. Pour suspects les dons est trop rude ; on doit éviter les consonnes qui se heurtent. C’est le mélange heureux des voyelles et des consonnes qui fait le charme de la versification.


Scène V.

ægée, en prison.
Vers 1. Demeure affreuse des coupables, etc.

Rotrou avait mis les stances à la mode. Corneille, qui les employa, les condamne lui-même dans ses réflexions sur la tragédie. Elles ont quelque rapport à ces odes que chantaient les chœurs entre les scènes sur le théâtre grec. Les Romains les imitèrent : il me semble que c’était l’enfance de l’art. Il était bien plus aisé d’insérer ces inutiles déclamations entre neuf ou dix scènes qui composaient une tragédie que de trouver dans son sujet même de quoi animer toujours le théâtre, et de soutenir une longue intrigue toujours intéressante. Lorsque notre théâtre commença à sortir de la barbarie, et de l’asservissement aux usages anciens, pire encore que la barbarie, on sul)stitua à ces odes des chœurs qu’on voit dans Garnier, dans Jodelle et dans Baïf, des stances que les personnages récitaient. Cette mode a duré cent années; le dernier exemple que nous ayons des stances est dans la Thébaïde. Racine se corrigea bientôt de ce défaut ; il sentit que cette mesure, différente de la mesure employée dans la pièce, n’était pas naturelle ; que les personnages ne devaient pas changer le langage convenu ; qu’ils devenaient poètes mal à propos.

Vers 37. Amour, contre Jason tourne ton trait fatal.
  Au pouvoir de tes dards je remets ma vengeance;
  Atterre son orgueil, et montre ta puissance
  A perdre également l’un et l’autre rival.

Quand mêmes ces stances ennuyeuses et mal écrites auraient été aussi bonnes que la meilleure ode d’Horace, elles ne feraient aucun effet, parce qu’elles sont daus la bouche d’un vieillard ridicule, amoureux comme un vieillard de comédie. Ce n’est pas assez au théâtre qu’une scène soit belle par elle-même, il faut qu’elle soit belle dans la place où elle est.