Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ont écrit ceux qui ont eu le nom de sages ; le chaos redouble à cette lecture. On ne voit que des charlatans qui vous vendent sur leurs tréteaux des recettes contre la pierre, la goutte, et la rage ; ils meurent eux-mêmes de ces maladies incurables qu’ils ont prétendu guérir, et sont remplacés d’âge en âge par des charlatans nouveaux, empoisonneurs du genre humain, empoisonnés eux-mêmes de leurs drogues. Tel est notre petit globe. Nous ignorons ce qui se passe dans les autres.

II.

C’est la contemplation de tant de misères et de tant d’horreurs qui a produit partout des athées, depuis Ocellus Lucanus jusqu’à l’auteur du Système de la nature[1]. Celui dont il nous reste un ouvrage immortel est Lucrèce. Il est immortel sans doute par la force énergique des vers, bien moins élégants que ceux de Virgile : par la richesse et la vérité des descriptions, dans lesquelles Virgile peut-être ne l’a pas surpassé ; par la beauté de sa morale, qui promet plus qu’elle ne donne ; et même par quelques raisonnements métaphysiques pris dans Démocrite et dans Épicure, raisonnements qui ne demandaient qu’un peu d’esprit. Mais quelle ignorante physique ! quelle absurde philosophie ! Appartenait-il à ceux qui ne connaissaient aucune propriété de la lumière, de nier l’auteur de la lumière ? Était-ce à ceux qui croyaient que toute génération vient de pourriture, et que le limon du Nil faisait naître des rats, à nier l’auteur de toute génération ? Par quelle audace des ignorants, qui assuraient que notre soleil n’a que trois pieds de diamètre, pouvaient-ils enseigner que ces milliards de soleils qu’ils ne connaissaient pas ne pouvaient être l’ouvrage d’une intelligence suprême ? Comment pouvaient-ils substituer à un premier moteur le hasard, qui n’est qu’un mot ? Comment pouvaient-ils admettre des effets sans cause ? dire que les yeux étaient placés par hasard au haut de la tête, et qu’alors les animaux avaient commencé à jouir de la vue ? que les mains, après bien des combinaisons, s’étaient mises au bout des bras, et qu’enfin les hommes avaient commencé à s’en servir ? Au milieu de toutes ces extravagances, ces pauvres gens admettaient des dieux dans leurs intermondes ; apparemment pour ne point trop choquer la superstition du peuple grec et du peuple romain. Et à quoi bon des dieux qui ne faisaient rien, qui ne se mêlaient de

  1. Voyez tome XXX, pape 471.