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Il est clair que toute religion qui propose quelque dogme à croire au delà de l’existence d’un Dieu anéantit en effet l’idée d’un Dieu : car dès qu’un prêtre de Syrie me dit que ce Dieu s’appelle Dagon, qu’il a une queue de poisson, qu’il est le protecteur d’un petit pays, et l’ennemi d’un autre pays, c’est véritablement ôter à Dieu son existence ; c’est le tuer comme Pélias en voulant lui donner une vie nouvelle.

Des fanatiques nous disent : Dieu vint en tel temps dans une petite bourgade ; Dieu prêcha, et il endurcit le cœur de ses auditeurs afin qu’ils ne crussent point en lui ; il leur parla, et il boucha leurs oreilles ; il choisit seulement douze idiots pour l’écouter, et il n’ouvrit l’esprit à ces douze idiots que quand il fut mort. La terre entière doit rire de ces fanatiques absurdes, comme dit milord Shaftesbury ; on ne doit pas leur faire l’honneur de raisonner ; il faut les saigner et les purger, comme gens qui ont la fièvre chaude. J’en dirai autant de tous les dieux qu’on a inventés ; je ne ferai pas plus de grâce aux monstres de l’Inde qu’aux monstres de l’Égypte ; je plaindrai toutes les nations qui ont abandonné le Dieu universel pour tant de fantômes de dieux particuliers.

Je me donnerai bien de garde de m’élever avec colère contre les malheureux qui ont perverti ainsi leur raison ; je me bornerai à les plaindre, en cas que leur folie n’aille pas jusqu’à la persécution et au meurtre : car alors ils ne seraient que des voleurs de grand chemin. Quiconque n’est coupable que de se tromper mérite compassion ; quiconque persécute mérite d’être traité comme une bête féroce.

Pardonnons aux hommes, et qu’on nous pardonne. Je finis par ce souhait unique, que Dieu veuille exaucer !


fin de l’histoire de l’établissement du christianisme.