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donc, en vertu de ce texte, il fallait que son père et sa mère l’égorgeassent. Quel étrange et horrible chaos de sottises et d’abominations !

Ce qu’il y a de plus déplorable, c’est que les chrétiens eux-mêmes se sont servis de ce passage juif, et de tous les passages qui les condamnent, pour justifier tous leurs crimes sanguinaires. C’est en citant le Deutéronome que nos papistes d’Irlande massacrèrent un nombre prodigieux de nos protestants[1]. C’est en criant : Le père doit tuer son fils, le fils doit tuer son père ; Mosé le Juif l’a dit, Dieu l’a dit.

Comment faire quand on est descendu dans cet abîme, et qu’on a vu cette longue chaîne de crimes fanatiques dont les chrétiens se sont souillés ? Où recourir ? où fuir ? Il vaudrait mieux être athée, et vivre avec des athées. Mais les athées sont dangereux. Si le christianisme a des principes exécrables, l’athéisme n’a aucun principe. Des athées peuvent être des brigands sans lois, comme les chrétiens et les mahométans ont été des brigands avec des lois. Voyons s’il n’est pas plus raisonnable et plus consolant de vivre avec des théistes.


Chapitre XXVI. Du théisme.

Le théisme est embrassé par la fleur du genre humain, je veux dire par les honnêtes gens, depuis Pékin jusqu’à Londres, et depuis Londres jusqu’à Philadelphie. L’athéisme parfait, quoi qu’on en dise, est rare. Je m’en suis aperçu dans ma patrie et dans tous mes voyages, que je n’entrepris que pour m’instruire, jusqu’à ce qu’enfin je me fixai auprès du lord Bolingbroke, le théiste le plus déclaré.

C’est, sans contredit, la source pure de mille superstitions impures. Il est naturel de reconnaître un Dieu dès qu’on ouvre les yeux : l’ouvrage annonce l’ouvrier.

Confucius et tous les lettrés de la Chine s’en tiennent à cette notion, et ne font pas un pas au delà. Ils abandonnent le peuple aux bonzes et à leur dieu Fô. Le peuple est superstitieux et sot à la Chine comme ailleurs ; mais les lettrés y sont moins remplis

  1. L’auteur parle des massacres d’Irlande du temps de Charles Ier et de Cromwell. (Note de Voltaire.)