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nouveau monde, lorsque la confusion bouleversait encore le monde ancien.

Voilà des lois bien directement contraires à celles de Mosé, dont nous avons si longtemps adopté l’esprit barbare. Locke et Penn regardent Dieu comme le père commun de tous les hommes ; et Mosé ou Moïse (si on en croit les livres qui courent sous son nom) veut que le maître de l’univers ne soit que le Dieu du petit peuple juif, qu’il ne protège que cette poignée de scélérats obscurs, qu’il ait en horreur le reste du monde. Il appelle ce Dieu « un Dieu jaloux qui se venge jusqu’à la troisième et la quatrième génération ».

Il ose faire parler Dieu ; et comment le fait-il parler ?

« Quand vous aurez passé le Jourdain, égorgez, exterminez tout ce que vous rencontrerez. Si vous ne tuez pas tout, je vous tuerai moi-même[1]. »

L’auteur du Deutéronome va plus loin : « S’il s’élève, dit-il, parmi vous un prophète ; s’il vous prédit des prodiges, et que ces prodiges arrivent, et qu’il vous dise (en vertu de ces prodiges) : Suivons un culte étranger, etc. ; qu’il soit massacré incontinent. Et si votre frère, né de votre mère, si votre fils ou votre fille, ou votre tendre et chère femme, ou votre intime ami vous dit : Allons, servons des dieux étrangers qui sont servis par toutes les autres nations ; tuez cette personne si chère aussitôt ; donnez le premier coup, et que tout le monde vous suive[2]. »

Après avoir lu une telle horreur, pourra-t-on la croire ? Et si le diable existait, pourrait-il s’exprimer avec plus de démence et de rage ? Qui que tu sois, insensé scélérat, qui écrivis ces lignes, ne voyais-tu pas que s’il est possible qu’un prophète prédise des prodiges, et que ces prodiges confirment ses paroles, c’est visiblement le maître de la nature qui l’inspire, qui parle par lui, qui agit par lui ? Et dans cette supposition, tu veux qu’on l’égorge ! tu veux que ce prophète soit assassiné par son père, par son frère, par son fils, par son ami ! Que lui ferais-tu donc s’il était un faux prophète ? La superstition change tellement les hommes en bêtes que les docteurs chrétiens ne se sont pas aperçus que ce passage est la condamnation formelle de leur Jésu-Christ. Il a, selon eux, prophétisé des prodiges qui sont arrivés ; la religion introduite par ses adhérents a détruit la religion juive : donc, selon le texte attribué à Moïse, il était évidemment coupable ;

  1. Nombres, ch. xxxiv. (Note de Voltaire.)
  2. Deutéronome, ch. xiii. (Id.)