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Il eût été d’abord nécessaire de faire ce que nous fîmes quand nous détruisîmes le papisme. Nous étalâmes devant l’Hôtel de ville, aux yeux et à l’esprit du public, les fausses légendes, les fausses prophéties, et les faux miracles de moines. L’empereur Julien, au contraire, subjugué par les idées erronées de son siècle, accorde, dans son discours conservé par Cyrille, que Jésu a fait quelques prodiges ; mais que tous les théurgistes en font bien davantage. C’est précisément imiter Jésu, qui, dans le livre de Matthieu, avoue que tous les Juifs ont le secret de chasser les diables.

Julien aurait dû faire voir que ces possessions du diable sont une charlatanerie punissable, et c’est de quoi sont très persuadés les magistrats de nos jours, bien qu’ils aient quelquefois la lâcheté de conniver à ces infamies. Ayant ainsi levé un pan de la robe de l’erreur, on l’aurait enfin montrée nue dans toute sa turpitude. On aurait pu abolir sagement et peu à peu les sacrifices de veaux et de moutons, qui changeaient les temples en cuisines, et instituer à leur place des hymnes et des discours de simple morale. On aurait pu inculquer dans les esprits l’adoration d’un Être suprême, dont l’existence était déjà reconnue ; on aurait pu écarter tous les dogmes, qui ne sont nés que de l’imagination des hommes, et on aurait prêché la simple vertu, qui est née de Dieu même.

Enfin les empereurs romains auraient pu imiter les empereurs de la Chine, qui avaient établi une religion pure depuis si longtemps ; et cette religion, qui eût été celle de tous les magistrats, l’aurait emporté, comme à la Chine, sur toutes les superstitions auxquelles on abandonne la populace[1].

Cette grande révolution était praticable dans un temps où la principale secte du christianisme n’était pas fondée, comme elle l’est aujourd’hui, sur des chaires de quatre mille guinées de rente, de quatre cent mille écus d’Allemagne, ou de piastres d’Espagne, et surtout sur le trône de Rome. La plus grande difficulté eût été dans l’esprit inquiet, turbulent, contentieux, de la plupart des peuples de l’Europe, et dans les mœurs de tous ces peuples, opposées les unes aux autres ; mais aussi il y avait un fort contrepoids, c’était celui des langues grecque et romaine que tout l’empire parlait, et des lois impériales, auxquelles toutes

  1. C’était l’idée dont Voltaire rêvait l’application en France. Il a déjà manifesté le même vœu et sous la même forme dans son dernier chapitre du Siècle de Louis XIV.