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Constantinople. Ces reproches des prêtres, renouvelés d’âge en âge à Julien, de n’avoir pas été de la religion de l’assassin Constantius, sont d’autant plus mal placés que Constantius était hérétique, et que, selon ces prêtres, un hérétique est pire qu’un païen.


Chapitre XXI. Questions sur l’empereur Julien.

On a demandé si Julien aimait la religion de l’empire d’aussi bonne foi qu’il détestait la secte chrétienne. On a demandé encore s’il pouvait raisonnablement espérer de détruire cette secte.

Quant à la première question, si un philosophe stoïcien tel que Julien adorait en effet Vénus, Mercure, Priape, Proserpine, et des dieux pénates, nous avons peine à le croire. Ce qui est vraisemblable, c’est que les peuples étant partagés entre deux factions irréconciliables, il fallait que Julien parût être de l’une pour abattre l’autre, sans quoi toutes deux se seraient soulevées contre lui. Nous savons bien qu’il est dans l’Europe un très grand prince[1], célèbre par ses victoires, par ses lois, et par ses livres, qui, dans ses États de cinq cents lieues en longueur, a pour ses sujets des papistes, des luthériens, des calvinistes, des moraves, des sociniens, des juifs ; qui ne prend parti pour aucune de ces sectes, et qui n’a pas plus de chapelle que de conseil et de maîtresse ; mais il est venu dans un temps où la démence des disputes de religion est entièrement amortie dans son pays. Il a affaire à des Allemands, et Julien avait affaire à des Grecs, capables de nier jusqu’à la mort que deux et deux font quatre.

Il se peut que Julien, né sensible et enthousiaste, abhorrant la famille de Constantin, qui n’était qu’une famille d’assassins ; abhorrant le christianisme, dont elle avait été le soutien, se soit fait illusion jusqu’au point de former un système qui semblait réconcilier un peu avec la raison le ridicule de ce qu’on appelle mal à propos le paganisme. C’était un avocat qui pouvait s’enivrer de sa cause ; mais en voulant détruire la religion de Jésu, ou plutôt la religion de lambeaux mal cousus au nom de Jésu, aurait-il pu parvenir à ce grand ouvrage ? Nous répondrons hardiment : Oui, s’il avait vécu quarante ans de plus, et s’il avait été toujours bien secondé.

  1. Frédéric II, roi de Prusse.