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et le seigneur ayant achevé tous ces discours sur le mont Sinaï, donna à Mosé deux tables de pierre contenant son témoignage, écrit avec le doigt de Dieu. Or le peuple voyant que Mosé tardait à descendre de la montagne, s’assembla autour d’Aaron, et dit : leve-toi, fais-nous des dieux qui marchent devant nous ; car nous ignorons ce qui est arrivé à cet homme qui nous a fait sortir de l’égypte. Et Aaron leur dit : prenez vos boucles d’oreilles, et celle de vos fils, et de vos filles ; et le peuple ayant apporté ses boucles d’oreilles, il en fit un veau d’or en fonte ; et ils dirent : voilà tes dieux, ô Israël... et Aaron dressa un autel devant le veau ; et dès le matin on lui offrit des holocaustes. Alors le seigneur parla à Mosé, et lui dit : va, et descends [1] Et lorsque Mosé fut arrivé près du camp, il vit.

    étant destinées uniquement pour le tabernacle qu’on devait faire, ne devaient point être profanées. " les deux tables de pierre écrites ou gravées par le doigt de Dieu-même, ont donné lieu à d’étranges blasphêmes. Dieu a-t-on dit, est toujours représenté dans ce livre comme un homme qui parle aux hommes, qui va, qui vient, qui se venge, qui est jaloux, qui donne des loix, et enfin qui les écrit ; rien ne parait plus grossier et plus fabuleux : ces deux tables de pierre sont une imitation des deux marbres sur lesquels l’ancien Bacchus avait écrit ses loix ; comme le passage de la mer Rouge est une imitation visible de la fable de Bacchus, qui passa la mer Rouge à pied sec pour aller aux Indes avec toute son armée. Les fables arabes sont prodigieusement antérieures à celles de Mosé. Bacchus avait été élevé dans ces déserts avant que Mosé les parcourût. Il fit tous les miracles que les juifs s’attribuent ; et deux rayons lui sortaient de la tête comme à Mosé, en témoignage de son commerce continuel avec les dieux : ils porterent tous deux ce nom de Mosé, qui signifie échappé de l’eau. Les juifs, qui n’ont jamais rien inventé, ont tout copié très tard. " c’est ce que les critiques objectent. Il est vrai qu’on retrouve dans la fable de Bacchus beaucoup de traits qui sont dans l’histoire juive depuis Noé jusqu’à Josué ; mais il vaut mieux croire que les arabes et les grecs ont été les copistes, que de penser que les hébreux ne furent que des plagiaires. La fable de Bacchus ne fut pas d’abord donnée pour une histoire sacrée ; elle ne fut le fondement des loix ni en Arabie, ni en Grece : au lieu que la loi de l’exode est encore celle des juifs. Nous avouons que Bacchus fut adoré et eut des prêtres : mais nous préférons un ministre du dieu de vérité à ceux qui sont devenus les dieux du mensonge.

  1. le texte hébreu porte : il fit un veau au burin, et il le jeta en fonte ; mais c’est une transposition ; on jette d’abord en fonte, et ensuite on répare au burin, ou, pour parler plus proprement, au ciseau. Il est très vrai qu’il est impossible de jeter un veau d’or en fonte, et de le réparer en une nuit. Il faut au moins trois mois d’un travail assidu pour achever un tel ouvrage ; et il n’y a pas d’apparence que les juifs, dans un désert, eussent des fondeurs d’or, qui ne se trouvent que dans de grandes villes : il n’est pas concevable que trois millions de juifs, qui venaient de voir et d’entendre Dieu lui-même au milieu des trompettes et des tonnerres, voulussent sitôt, et en sa présence même, quitter son service pour celui d’un veau. Nous ne dirons pas, comme les incrédules, que c’est une fable absurde, imaginée après plusieurs siecles par quelque lévite, pour donner du relief à ses confreres, qui punirent si violemment le crime des autres israëlites.